C’est hors programmation que les centres d’artistes L’Œil de poisson et VU accueillaient l’exposition collective Brutalisme parallèle, orchestrée par l’artiste et commissaire Péio Eliceiry. Ce dernier, s’appuyant sur l’architecture de la Capitale-Nationale, a demandé à une quinzaine d’artistes de s’en inspirer afin de réaliser des œuvres inédites. Le mot d’ordre était de «penser à partir du brutalisme – et plus particulièrement de son expansion visible dans la ville de Québec». Effectivement, en son centre comme en périphérie, ce style architectural marque le territoire urbain. Du campus universitaire à l’édifice Marie-Guyart, en passant par le coffrage en béton de la rivière Saint-Charles : minimalisme et fonctionnalisme ont été prépondérants entre les années 1960 et 1980, valorisant la simplicité des matières et des formes.

La réflexion suscitée par le commissaire, qui conviait les participants à se pencher sur ce mouvement architectural et les éléments se rapportant «à son esthétique, ses formes, son éthique, ses principes, son histoire, ses usages, sa critique et ses matériaux» à travers les arts actuels, donne lieu à des propositions surprenantes. L’installation de Virginie Laganière et Jean-Maxime Dufresne déploie en trois volets audiovisuels une enquête sur le béton et ses composantes. L’œuvre de Mathieu Lévesque, directement au mur, évoque les préceptes de Supports/Surfaces, un mouvement de peinture autoréférentielle, axée sur son propre matériau. De même, le polyptyque de Nathalie Thibault offre un heureux équilibre entre la monumentalité et la délicatesse.

Vue de l’exposition Brutalisme Parallèle (2023). Photo : Marion Gotti

La toile d’Alexanne Dunn invite à un rapport intime à l’architecture et donne à reconnaître, dans sa redondance formelle, les aspérités d’une infrastructure. Côté représentation architecturale, la proposition la plus étonnante demeure celle de Mylène Michaud. Se jouant des contrastes, elle a tissé en nuances de gris l’image d’un immeuble à balcons vu en contre-plongée. Le colossal bâtiment est transposé sur une étoffe, à la surface de laquelle l’artiste laisse suspendus des écheveaux, valorisant ainsi son matériau, tel que le favorisait le brutalisme.

Le diptyque de François Simard fait quant à lui plus difficilement écho à la thématique, ce qui n’enlève rien à ses qualités esthétiques. Par ses taches de couleur appliquées sur des reproductions agrandies de gravures anciennes représentant des paysages forestiers, l’artiste use avec une efficace simplicité du détournement pictural.

Sara A. Tremblay, de son côté, plonge les deux mains en plein brutalisme, et c’est l’évolution des altérations d’une surface que nous suivons dans sa vidéo. Celle-ci, mise en parallèle avec une toile monochrome marquée par l’usure, stimule la sensibilité à la matière et fait prendre la mesure de l’incidence du geste dans le temps.

Vue de l’exposition Brutalisme Parallèle, œuvre de Sara A. Tremblay (2023). Photo : Marion Gotti

Le brutalisme est un «vecteur d’esthétiques et d’éthiques particulières», rappelle Péio Eliceiry. «On note de ces faits que le type de constructions qui nous intéresse apparaît dans des endroits à valeur publique : des lieux d’administration et de pouvoir, de loisir, d’éducation et de culture. Quel est ce monde partagé que le brutalisme a servi à ériger1?» Il y a plus de cinquante ans, l’architecture brutaliste s’est imposée au Québec face à l’impératif d’entrer dans la modernité en faisant table rase du passé. La géométrie s’est alliée au béton, parfois au détriment de l’environnement existant. Dans la capitale, le lit cimenté de la rivière Saint-Charles, démantelé depuis, s’est avéré un désastre écologique. Québec a vu la disparition de tout le faubourg Saint-Louis au moment de l’aménagement de la colline Parlementaire, délogeant plus de 1200 familles. La classe ouvrière gentrifiée des quartiers centraux s’est retrouvée notamment dans les tours HLM qui ponctuent aujourd’hui encore la Haute- et la Basse-Ville. Les tours d’habitation ont été bâties sans égard pour le milieu où elles s’implantaient, souvent au grand dam des résidants. Par exemple, celle du 315, rue Saint-Jean a été construite en 1964 par la firme Walker et Tessier, à qui l’on doit la prison d’Orsainville et le complexe commercial Place Laurier. C’est dire combien le fonctionnalisme a bouleversé le paysage urbain, jusque dans son écosystème social.

L’exposition Brutalisme parallèle se présente dans un tout autre esprit. Ouvrant ses portes au milieu de l’été, en pleine effervescence touristique, elle proposait une jouissive alternative aux centres d’artistes désertés pendant les vacances, alors qu’il semblait que Québec n’avait rien de plus original à offrir qu’une banale exposition de projections numériques sur les peintres impressionnistes. Tout aussi inusitée en cette saison, une autre manifestation collective, le festival en arts contemporains Genèse, se déroulait plus tard dans l’été. Elle se tenait à La Charpente des fauves, un lieu plus connu pour son apport aux arts de la scène. Ces événements surgissant en dehors du calendrier habituel et dans des endroits inattendus démontrent le besoin renouvelé d’accéder à des espaces de développement. Leur affirmation collective manifeste la vitalité accrue des arts actuels à Québec.

1 Péio Eliceiry, Brutalisme Parallèle, programme d’exposition.


BRUTALISME PARALLÈLE
ARTISTES : PASCALE BÉDARD ET BLAISE CARRIER-CHOUINARD, SAMUEL BRETON, ALEXANDRE DAVID, ALEXANNE DUNN, PÉIO ELICEIRY, VALÉRIE KOLAKIS, VIRGINIE LAGANIÈRE ET JEAN-MAXIME DUFRESNE, CHANY LAGUEUX ET MAXIME RHEAULT, MATHIEU LÉVESQUE, MYLÈNE MICHAUD, FRANÇOIS SIMARD, NATHALIE THIBAULT, SARA A. TREMBLAY
COMMISSAIRE : PÉIO ELICEIRY
COOPÉRATIVE MÉDUSE, QUÉBEC
DU 28 JUILLET AU 25 AOÛT 2023