2017, l’on entend cloches, tambours, clairons, trompettes ; 2017, l’on célèbre anniversaires, inaugurations, fondations et fêtes. 150e anniversaire du Canada, 375e anniversaire de Montréal, et aussi, et peut-être surtout, 50e anniversaire de l’Exposition universelle, Expo 67. Pourquoi surtout ? Peut-être parce que cet événement touche l’imaginaire de façon plus importante que les deux autres, ou encore parce qu’il ravive le mieux les deux autres. Le 9 avril 2017, le premier ministre Justin Trudeau, dans son allocution célébrant le centenaire de la bataille de la crête de Vimy, précisait : « Le Canada est né ici à Vimy, car il est ainsi devenu un signataire indépendant du Traité de Versailles. » Et si Montréal était née à Terre des hommes, à l’Expo 67 ? Et si la ville était devenue visible à l’échelle internationale à partir du 27 avril 1967 ? Beaucoup de gens l’ont en effet « découverte » pour la première fois à ce moment-là. C’est précisément ce que l’exposition Expo 67 – Rêver le monde du Musée Stewart retrace, ou plutôt réinvente, à travers ses 6 modules ou zones thématiques formant un parcours sensoriel complet, réel et virtuel. Rien à voir avec une « déambulation classique » devant des œuvres fixées au mur.

Module numéro 1 : Rêver l’expo

Coup de théâtre ! Montréal, après avoir été écartée du titre de ville hôtesse par le Bureau International des Expositions le 5 mai 1960 (2 candidatures – 16 votes contre 14, en faveur de Moscou), à la suite d’un revirement de situation inattendu, se fait soudain offrir, deux années plus tard, la possibilité de reprendre, grâce au désistement de Moscou, le titre de ville hôtesse tant convoité, et s’en empare officiellement le 13 novembre 1962.

Malgré le temps grignoté (30 mois) par l’hési­tation, puis finalement le retrait de Moscou, Montréal s’engage à la vitesse grand V dans sa nouvelle fonction, avec un peu plus de la moitié du temps qui avait été accordé à Moscou et un peu plus du tiers du temps qui avait été accordé à Bruxelles. Le dossier de candidature de Montréal avait mis l’accent sur une exposition associée au centenaire de la Confédération canadienne et avait donc obtenu la moitié du budget mobilisé par les instances fédérales.

Changement de cap, branle-bas de combat, modus operandi militaire, décisions en rafale, nouveaux sites et nouvelle infrastructure, le tout adopté en simultané. Selon le plan des architectes Bédard, Charbonneau, Langlois, il s’agit de doubler la superficie de l’Île Sainte-Hélène en y annexant l’Île Verte et l’Île Ronde, à créer de toutes pièces l’Île Notre-Dame et à agrandir la Cité du Havre. Un chantier de 28 millions de tonnes métriques de terre à remblayer (dont près de 7 millions prélevées de l’excavation du métro), à terminer pour le 30 juin 1964, pour la Nuit des Iles, afin que la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle amorce l’aménagement du site, la construction des pavillons et des réseaux de transport.

Il est question ici d’un site de 4 millions de mètres carrés. Il faut imaginer l’étendue de l’aménagement des surfaces dures, la plantation de près de 15 000 arbres et de près de 900 000 végétaux, le design du mobilier urbain (des 1 200 bancs aux 6 200 lampadaires en passant par les 4 200 bacs à déchets), l’implantation des bâtiments et la planification des déplacements.

En effet, il était prévu que le métro transporterait les visiteurs à l’entrée principale du site de l’Expo 67, la station Île Sainte-Hélène. De là, divers modes de déplacements ont été élaborés : monorail, voiturettes, vaporetto, traversier. Ils constituaient des circuits terriblement complexes à coordonner.

De l’avis général, considérer qu’un tel pari défiait toute raison donne une idée de la démesure de la tâche titanesque, voire pharaonique, qui fut accomplie en respectant un échéancier « impossible » : moins de trois ans. Pari gagné. L’Expo 67 est inaugurée le 28 avril. À temps. Montréal s’ouvre au monde.

Au Musée Stewart, on voit dans un premier module la comédienne Andrée Champagne accueillir le public dans une projection grandeur nature très bien réalisée. Ce qui frappe dans l’agencement de Expo 67 – Rêver le monde, c’est la parfaite adéquation des modules ; ils sont conçus comme des pavillons thématiques et expriment ainsi la diversité et l’abondance des moyens utilisés lors de l’Exposition universelle où les techniques sont au service des concepts.

Anonyme Habitat 67, 1967 Collection privée © Musée StewartCollection privée © Musée Stewart

Module numéro 2 : Rêver la ville – Habitat 67

Dans le module numéro 2, le choix d’Habitat 67 comme architecture résidentielle met en valeur le concept du module unique qui apparaît décalé d’une trame ou d’un système, tout en y étant attaché. Le multilogements semble former un tout à une certaine distance, et pourtant les vues et les perspectives à partir de chaque module sont totalement différentes. La mise en scène se traduit par un « mapping » d’images projetées sur des volumes et qui débordent de leur cadre.

À l’occasion d’Expo 67, l’architecte Moshe Safdie (il a 25 ans) construit son premier bâtiment : 158 unités résidentielles (son plan d’ensemble initial comprenait 1000 modules) composant trois entités pyramidales à la Cité du Havre. Les unités en béton ont des baies vitrées de dimensions diverses, mais toutes offrent un point de vue unique sur la ville et le fleuve. Ce bâtiment moderne sera classé monument historique en 2009.

C’est l’architecte néerlandais Daniel Van Ginkel, établi depuis 1957 à Montréal, qui invite le jeune étudiant d’alors à réaliser concrètement la construction du projet abordant les thèmes de la densité et de la modularité, thèmes explorés par Safdie lors de son projet universitaire de fin d’études. Non seulement Van Ginkel convainc les autorités d’adhérer à son idée, mais il engage Louis Kahn, l’ingénieur en structure le plus compétent pour ce projet. L’on bâtit d’abord, tout près du site, l’usine qui fabriquera les 354 modules. Les unités résidentielles comprennent de un à huit modules chacune. Pour l’inauguration de l’Expo 67, 115 unités sont terminées.

Module numéro 3 : Le cauchemar de la guerre froide

Politiquement, la guerre froide domine les relations entre Moscou et Washington et c’est d’ailleurs la raison principale du retrait de Moscou à titre de ville hôtesse. Néanmoins, l’URSS construira un pavillon très moderniste, vis-à-vis du pavillon américain de Buckminster Fuller. Sa construction fut brillamment récupérée par l’équipe des communications d’Expo 67. La page publicitaire dans le magazine américain Life est un coup de génie !

La stratégie utilisée alors, afin d’inciter les Américains à venir visiter l’Expo 67, se base sur leur crainte de voir l’ennemi se rapprocher de leurs frontières. Il est vrai que la tension est très palpable entre les deux blocs, encore sous le choc de la Crise des missiles de Cuba (1962). L’opération se révèle un franc succès : près de la moitié des 50,2 millions des visites comptabilisées sont effectuées par des Américains. Il faut le souligner, c’est dix fois le nombre de visites effectuées par les Québécois.

Module numéro 4 : Rêver l’être humain – Le labyrinthe

Voici le moment fort de l’exposition du Musée Stewart. La réalité virtuelle nous invite à retrouver l’expérience du pavillon de l’Office national du film du Canada : le Labyrinthe. À vrai dire, dès le port du masque, nous sommes télé- transportés dans la réalité virtuelle des films multi-écrans présentés avec plusieurs projecteurs. Graeme Ferguson et Roman Kroitor conçoivent respectivement les films « La Vie polaire » et « Dans le labyrinthe » ; ces deux films sont projetés au pavillon de l’ONF sur un écran donnant l’impression d’être « déplié » ou « en croix ». Fait intéressant, cette innovation cinématographique va se prolonger avec les deux mêmes réalisateurs qui sont déjà les précurseurs du premier IMAX, à projecteur unique, lors de l’Exposition universelle suivante, celle d’Osaka, en 1970.

Ce module semble le préféré des visiteurs.

Module numéro 5 : Rêver la terre – Terre des hommes

Thème-titre emprunté au livre d’Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes se voulait une Exposition universelle non commerciale, humaniste et éducative. L’occasion était idéale d’exploiter un thème multiple où hommes et femmes entreprennent et entretiennent une relation nouvelle au monde et à leur milieu. C’est à la conférence de Montebello en mai 1963, à laquelle douze personnalités ont participé, notamment l’écrivaine Gabrielle Roy, l’architecte Raymond Affleck, l’acteur Jean-Louis Roux et le neurologue Wilder Penfield, que le terme est consacré. Ray Affleck parlera d’« un environnement global postindustriel dont l’expérience passe par l’absorption d’informations appréhendées par le mouvement ». Les 4 sous-thèmes de Terre des Hommes sont L’homme chercheL’homme créeL’homme produit et L’homme et la cité.

Gabrielle Roy écrit « Être homme […]. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde ».

Plusieurs pavillons thématiques ont été planifiés et construits afin de souligner les responsabilités de l’homme dans son environnement, par exemple, « L’Homme interroge l’univers », sur l’Île Sainte-Hélène, et « L’Homme à l’œuvre », sur l’Île Notre-Dame.

Module numéro 6 : Rêver de l’expo – Cabinet des curiosités

Dernier module, la nostalgie ayant fait son œuvre, nous sommes hypnotisés devant les centaines de diapositives des collectionneurs (des loupes sont à la disposition de ceux qui désirent prolonger ce plaisir). Des cabinets de curiosités sont aménagés de manière à présenter les « artefacts » de chacun des collectionneurs, des capsules de bière à l’image de tous les pavillons aux passeports d’entrée. L’idée du passeport a été reprise par les villes hôtesses des Expositions universelles suivantes : Osaka, Séville, Hanovre, Shanghai, etc. 

Expo 67 – Rêver le monde
Musée Stewart, Montréal
Jusqu’au 8 octobre 2017