Vendredi 17 octobre 2014 : soixante élèves de 10 et 11 ans pénètrent, avec leurs enseignants, dans la salle d’exposition de la Foire d’art contemporain de Saint-Lambert. Comme les quatre groupes qui les ont précédés, ces écoliers viennent choisir leur « coup de cœur » parmi les 200 œuvres exposées réalisées par 35 artistes. Ils aperçoivent Jacques Sénéchal, qu’ils ont accueilli à deux reprises dans leur classe pour préparer leur visite. Cette journée-là, grâce à ce projet de médiation culturelle, 150 élèves de Saint-Lambert ont accès à la Foire d’art contemporain avant son ouverture au grand public.

Document pédagogique en main (une brochure de huit pages), chaque écolier écoute le médiateur culturel, Jacques Sénéchal. Il leur rappelle les principales consignes. Tout d’abord, chacun doit « identifier son coup de cœur ». Puis, après avoir arrêté son choix, il faut observer attentivement l’œuvre, la décrire et raconter ce qui s’y passe ; il faut relever les éléments qui semblent importants (personnages, objets, formes, couleurs). L’élève énonce ensuite le pourquoi de son choix et note ce qui l’impressionne. Il n’oublie pas de transcrire les renseignements du cartel. Il est invité à faire d’autres observations, notamment sur les techniques utilisées par l’artiste, les matériaux, les outils. L’enfant doit aussi saisir le vocabulaire des arts plastiques. Toutefois, une partie importante de cette observation concerne les sentiments, les émotions et les impressions. Et le médiateur insiste auprès des enfants pour que chacun explique ce qui le touche le plus dans l’œuvre choisie, en encerclant même des mots suggérés dans le document qu’il a préparé. Enfin, sur la dernière page, les enfants dessinent une esquisse de leur œuvre préférée.

Une expérience unique

À tout moment, durant la visite, les élèves peuvent être aidés, s’ils le désirent, par les membres du comité organisateur de la Foire, Suzanne Laliberté, Debbie Zakaib et le médiateur, ainsi que par Michelle Leduc, enseignante à la retraite et conjointe de Jacques Sénéchal, qui le soutient dans l’élaboration et la rédaction des activités qu’il conçoit.

La visite s’achève. Les enfants viennent de vivre une expérience unique. Rares sont les moments où, en dehors des heures d’ouverture officielles d’un centre d’exposition, ils peuvent « butiner » d’une œuvre d’art à l’autre, se promener parmi les cimaises, demander conseil aux adultes présents, exprimer leurs hésitations, en discuter avec leurs pairs avant d’arrêter leur coup de cœur et colliger les informations essentielles à la poursuite de la réflexion. Pour Jacques Sénéchal, la médiation culturelle consiste à « amener les enfants à formuler des idées différentes des lieux communs : pour cela, il faut les accompagner ».

Le lendemain et le dimanche, des élèves reviendront avec leurs parents, puisque le comité organisateur leur lance une invitation : « Venez découvrir les goûts artistiques de votre enfant ! »

Dialogue et échanges épistolaires avec les artistes

La réflexion après la visite à la Foire s’avère fondamentale pour Jacques Sénéchal ; d’ailleurs, l’expérience de médiation culturelle peut s’échelonner sur un ou deux mois. Il rencontre les élèves dans leur classe, écoute attentivement leurs réactions et anime leurs discussions. Il insiste sur l’émotion ressentie, sur ce qui a impressionné chaque enfant dans l’œuvre choisie. Enfin, pour transcrire leurs mots, il planifie, chaque année, soit un atelier d’écriture, soit une activité de création plastique personnelle.

L’expérience de 2013 est particulièrement inspirante : les élèves ont écrit à l’artiste qui avait réalisé leur « œuvre coup de cœur ». Et les artistes ont répondu personnellement à chaque enfant. Quelques exemples :

Hugo a écrit à Simon Beaudry : « D’après ce que j’ai compris, vous cherchez à mélanger les aspects traditionnels du Québec et sa modernité. Je trouve que c’est très original. »

Simon Beaudry a répondu : « Votre lettre m’est allée droit au cœur. Effectivement, vous avez compris une bonne partie de ma démarche. Je cherche à utiliser le passé pour créer le présent et l’avenir. L’objet inuit que j’intègre à la québé­citude [représente] le métissage et le futur. »

Parmi les huit lettres envoyées à Élisabeth Picard, voici des extraits provenant des missives de Léa et de Léanne :

« Vous avez dû prendre beaucoup de temps et avoir beaucoup de patience. »

« J’ai choisi cette œuvre, car je trouvais très original de faire des œuvres d’art avec des produits industriels tels que les attaches autobloquantes (Tyrap). Je pense que vous voulez nous dire que l’on peut faire de l’art avec n’importe quel matériau en faisant preuve de créativité. »

Élisabeth Picard répond à chacune : « Une grande installation peut me prendre jusqu’à six mois de travail. […] Ce qui est plus difficile, c’est de créer plusieurs œuvres différentes, et ce, tout au long de sa carrière. »

« Je pratique mon art de manière professionnelle depuis huit ans et j’ai expérimenté beaucoup de matériaux : carton ondulé, papier, cire d’abeille, résine, fibre de verre, contreplaqué. […] Je suis contente de voir que l’art t’inspire des émotions et t’incite à t’exprimer et à te questionner. La pratique artistique est essentielle à ma vie. Comme toi qui es à l’école et en apprentissage, l’art me permet d’apprendre et de mieux me connaître, de construire mon identité. »

Heureux des retombées tangibles – et avec raison –, Jacques Sénéchal s’apprête à faire vivre à d’autres élèves une expérience de médiation culturelle lors de l’édition 2015 de la Foire de Saint-Lambert.