Réinterroger la pratique sculpturale millénaire et se réapproprier un médium ancestral pour en explorer la polysémie, telle est l’expérience proposée par Shanie Tomassini à l’exposition Booth 73 présentée par la TAP Art Space de Toronto. Accompagnée de Marcelino Barsi et David Kramer, l’artiste montréalaise nous ouvre les portes de son univers artistique, un monde où cellulaires éphémères côtoient tendrement structures murales et où l’encens fragile tutoie la fermeté du métal. Avec cette participation, l’artiste développe tant une réflexion sur l’ambivalence de la matière et de la sculpture, que sur les communications d’hier et d’aujourd’hui.

Ces deux dernières années ont été l’occasion pour l’artiste de poursuivre son exploration de la matérialité dans son travail. Enveloppées entre les murs blancs de la TAP, comme un écrin ouvert sur la rue, les œuvres sont immédiatement offertes au public sur des structures métalliques à même les murs. L’utilisation de l’encens pour la reproduction d’objets de communication contemporains fait écho aux propriétés de connexion aux autres, à d’autres lieux, d’autres spiritualités, d’autres temporalités. Par ses cellulaires, dont l’ADN est celui du retour à la nature et aux interactions, Tomassini interroge l’évolution matérielle et technologique dans laquelle elle a toujours vécu. Ainsi, par l’utilisation d’un matériau aux propriétés communicatives ancestrales faisant référence aux processions et aux spiritualités orientales1, elle semble amorcer un retour aux sources évoquant tout autant cette recherche d’ancrage dans une pratique spirituelle de l’art qu’une pratique expiatoire. Enchâssée dans la dualité, entre communication ouverte et production personnelle, Tomassini reproduit ses propres téléphones et met en lumière une course à l’avancée technologique semblant menacer la liberté individuelle. Contrecarrant cette vision à la fois connectée au tout, mais aussi solitaire, l’artiste, en plus du matériau, laisse volontairement les traces de sa pratique apparentes, comme une ode à l’artisanat engageant un retour au savoir-faire ancestral de la sculpture et de la poterie. Tomassini réalise personnellement ses moulages dans lesquels les essences florales sont ajoutées au charbon et à la gomme de dragon, lui donnant les capacités de communiquer – formellement et spirituellement.

Vue de l’exposition Booth 73 de Shanie Tomassini (2021)
Allumage d’un cellulaire lors du vernissage de Booth 73 (2021) Photo : Mathieu Grenier. Courtoisie de l’artiste
Vue de l’exposition Booth 73 de Shanie Tomassini (2021)
Shanie Tomassini, 1 Phone Holder (détail) (2021) Photo : Laura Findlay. Courtoisie de TAP Art Space

Par la multiplicité des focales, Tomassini invite à une relecture de la relation œuvre-public. Entre blanc immaculé des murs et impact visuel des sculptures, voyage dans une nostalgie personnelle et réalité extérieure commune, elle explore les frontières et les contrastes, et propose une étonnante symbiose rendue possible par l’expérience du spectateur qui semble tout aussi créatrice que la pratique en atelier. Par la reproduction de cellulaires, aujourd’hui extensions technologiques de nos vies, chacune et chacun dote les sculptures d’une aura singulière entrant en résonance avec celle de l’artiste.

Les sculptures, oscillant entre permanence du métal et fugacité de l’encens, ont également une durée de vie limitée à l’exposition. À l’instar de Urs Fischer avec L’enlèvement des Sabines (2021) qui allume ses sculptures de cire, l’artiste consume ses téléphones. S’engageant dans la lignée de Rachel Whiteread, qui amorce une création du négatif (Closet, 1988), Tomassini donne à sa pratique une charge mnésique, traduisant à la fois la mémoire de l’objet et sa disparition par l’inévitable destruction de l’acte créateur (allumer et consumer l’encens) – comme une victoire de l’élément naturel sur la force technologique. Shanie Tomassini propose ainsi des œuvres au caractère spectral et fantomatique renforçant la présence et la vivacité de celles non consumées. Un discours et une artiste à (re)découvrir en 2022 dans l’exposition Mystic Toolkit à la Artpace à San Antonio (Texas, États-Unis), commissariée par Anaïs Castro. 

Ioan Pânzaru, « Épices, encens et sacrements », Annals: Series on History and Archaeology (Academy of Romania Scientists), no 8, vol. 1 (2016), p. 120-131.


(Exposition)

BOOTH 73
Artistes : Shanie Tomassini, David Kramer et Marcelino Barsi
TAP ART SPACE
Du 28 octobre au 27 novembre 2021