Géraldine Laurendeau : la biodiversité comme refuge
Et si nous allions à la rencontre d’animaux refuges sur les rives du parc Saint-Louis, à Lachine1 ? C’est ce que nous invite à faire l’artiste multidisciplinaire Géraldine Laurendeau en exposant ses œuvres, nées de l’alliance de ses pratiques artistiques et scientifiques. Les œuvres d’art public faites de bois et de métal Cétacé. Mémoire de baleine (2020) et Caribou de bois (2021) s’inscrivent dans la recherche-création Animal parapluie2, initiée en 2020, et s’inspirent d’animaux migrateurs considérés, en écologie, comme des espèces parapluies. Sortes de baromètre pour évaluer la qualité de l’environnement à l’échelle globale, leur protection bénéficie à de nombreuses autres espèces occupant le même milieu.
Ces sculptures invitent à une réflexion poétique sur la notion de refuge. Les animaux-parapluies, conçus d’abord comme des prototypes de dimension réelle, sont amenés à être agrandis à l’échelle monumentale pour devenir de véritables abris, sous lesquels l’humanité trouvera protection et hospitalité.
Nourrie par ses études en ethnosciences et en architecture de paysage, la pratique en art environnemental de l’artiste est portée par son intérêt pour les enjeux écologiques, tels que la protection de la biodiversité. Le choix des animaux ayant inspiré les sculptures évoque sa sensibilité et sa volonté de révéler des univers écologiques différents.
Le milieu marin est représenté par la baleine, rendant hommage au rorqual à bosse qui remonta le Saint-Laurent jusqu’à Montréal en 2020. Cette errance inhabituelle, qui se produit néanmoins de manière récurrente, a inspiré les recherches de l’artiste et l’œuvre Cétacé3. Le milieu terrestre prend vie à travers le caribou, espèce répandue dans l’hémisphère Nord. Cet animal mythique pour plusieurs nations autochtones du Canada avec lesquelles l’artiste travaille, telles que les Innus ou les Inuit, inspire depuis plusieurs années ses recherches scientifiques et artistiques. Les milieux humides sont symbolisés par les hérons et les aigrettes, autour desquels l’artiste s’est adonnée à une exploration de formes et de matières. Bien que ces sculptures ne soient pas présentes à Lachine, une pièce a été acquise par la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu et exposée en 2021 à la Maison Epiphany du Domaine Trinity.
Au-delà de l’esthétique, Géraldine Laurendeau cherche à donner « un sens profond à l’art » par des moyens positifs afin d’atteindre la sensibilité environnementale des visiteurs. À travers ce choix d’animaux emblématiques, l’artiste s’adresse au grand public pour le faire réagir. Les enjeux liés à l’eau et à la biodiversité – comme la dégradation des habitats, les changements climatiques et la pollution – sont des thèmes qu’elle aborde au sein de sa pratique. « Il y a des choses qu’on peut apprendre avec l’art. Les poèmes qui accompagnent les sculptures sont en partie imaginaires, mais le vocabulaire que j’exploite est en lien avec l’animal, son milieu, la géologie ou la nourriture qu’il mange. Un poème n’est pas là pour expliquer, mais soulève des idées, des questions…4 »
Pour parvenir à ces résultats, le processus de recherche-création s’est réalisé de façon itérative et collaborative. À la suite d’une phase de documentation, l’exploration formelle et architecturale, à l’aide de croquis, a donné forme à des dessins techniques servant à tailler le bois. L’impression 3D a permis de tester les structures et de valider la forme des sculptures-architectures, avant qu’elles soient construites à l’Atelier Fake, avec l’aide de Stéphane Grisé. Pour sa part, le travail du métal s’est fait chez Les Diableries de La Fortune, sans l’aide de technologie numérique, en passant directement du dessin au modelage et à l’assemblage de la matière. Le bois lamellé-collé permet de donner forme à d’imposantes sculptures, tandis que le métal offre une meilleure malléabilité pour créer des éléments affinés aux formes organiques.
Pour l’artiste, le bois recouvre une symbolique importante, qu’elle utilise ici comme révélateur des enjeux liés à la forêt, et plus largement à la fragmentation des habitats et de son impact sur la biodiversité. Le passage de ces œuvres dans l’espace public renforce l’idée d’impermanence et de résilience, évoquant à la fois la force et la fragilité du vivant.
(1) Cétacé. Mémoire de baleine a aussi été exposée au parc de la Promenade-Bellerive en 2020. Depuis 2020, les mesures de relance de la Ville de Montréal visent à offrir un soutien accru aux institutions culturelles et aux artistes, et à promouvoir l’exposition temporaire d’œuvres d’art hors-les-murs qui dynamisent l’espace public.
(2) Recherche financée par le programme Exploration et Recherche du Conseil des arts et des lettres du Québec.
(3) Le poème Cétacé est inspiré par le rorqual à bosse ayant visité Montréal à l’été 2020, et souligne la présence de ces animaux dans la mer de Champlain, qui recouvrait la plaine inondable du Saint-Laurent, il y a 10 000 à 12 000 ans : https://www.geraldinelaurendeau.com/cétacé-mémoire-de-baleine.
(4) Entretien avec Géraldine Laurendeau, juillet 2021.
(Exposition)
CÉTACÉ. MÉMOIRE DE BALEINE ET CARIBOU DE BOIS
GÉRALDINE LAURENDEAU
PARC SAINT-LOUIS, LACHINE
DU 17 JUIN AU 31 AOÛT 2021