Organisée par la Galerie d’art Foreman de l’Université Bishop’s en collaboration avec le Centre en art actuel Sporobole, l’exposition collective Images fabuleuses. Quand la fiction prend racine se déploie dans les deux lieux à l’hiver 2020. 

L’importance du rapport à l’autre se trouve au cœur de la science-fiction, que ce soit par la rencontre avec différentes formes de vie ou la découverte de planètes inconnues. Ce rapport souvent alimenté par la peur et la crainte – où l’altérité est vue comme une menace qui doit être approchée avec précaution – est aujourd’hui utilisé en arts visuels pour effectuer une révision critique de l’Histoire. Les commissaires Gentiane Bélanger et Alexandra Tourigny-Fleury rassemblent le travail de cinq artistes et collectifs qui explorent le potentiel narratif de la science-fiction permettant la réactualisation – voire la révision – de récits historiques et de constructions identitaires, en faveur d’une diversité ethnoculturelle. S’inscrivant dans les courants de l’afrofuturisme, du futurisme autochtone et du futurisme arabe, les artistes de l’exposition font appel à une variété de techniques et de stratégies, allant du graffiti numérique au documentaire fictif, en passant par l’inclusion d’œuvres matérielles spéculatives dans un espace archivistique. À leurs yeux, la science-fiction constitue un terrain idéal pour réécrire l’Histoire de façon plus inclusive, pour affecter le présent dans une perspective d’émancipation et pour imaginer des futurs alternatifs plus justes. 

Sonny Assu, It was, like, a super long time ago that ppl were here, right? (2014)
Série Interventions on the Imaginary, intervention numérique sur une toile d’Emily Carr (Cumshewa, 1912) Courtoisie de l’artiste

L’idée de mettre sur pied une exposition qui sonde les croisements de la science-fiction et des politiques identitaires a émergé d’un constat devant les récents efforts de diversification culturelle au sein de la culture populaire, qui est aussi de plus en plus perceptible dans les arts visuels. S’écartant des héros traditionnellement masculins et blancs, les commissaires notent ainsi l’inclusion grandissante de personnages de fiction aux identités marginalisées. Cette considération pour la culture populaire du sci-fi se manifeste dans la scénographie, alors que l’exposition s’articule autour d’un espace consacré à la lecture d’œuvres littéraires de science-fiction. On peut ainsi s’installer sur des coussins au sol pour feuilleter des romans, des comics et des bandes dessinées qui attestent tantôt d’une révision historique plus inclusive et diversifiée, tantôt d’une exemplification des plus gros stéréotypes qui persistent encore aujourd’hui.

SkawennatiEpiphany (2013)
Incluant une représentation numérique de 
cloudscape d’Hannah Claus, Machinimagraphe
Courtoisie de l’artiste

(Re)visiter le passé

Dans une forme de réparation où les artistes se réapproprient l’écriture de leur propre histoire, plusieurs œuvres présentées dans Imagesfabuleuses revisitent d’abord le passé pour mieux se projeter dans l’avenir. Le futurisme autochtone est empreint d’un lien direct avec la tradition, cherchant néanmoins à s’affranchir d’un regard historique ancré dans le primitivisme nostalgique. À l’entrée de la galerie, l’artiste kwakwaka’wakw Sonny Assu signe les surfaces iconiques de l’histoire de l’art canadienne en intervenant sur des œuvres emblématiques. Provenant de la série Interventions On The Imaginary (2014), les impressions numériques insèrent dans les paysages de la côte Nord-Ouest du pays peints par Emily Carr une présence autochtone futuriste par le biais d’une iconographie ovoïde combinant traditions autochtones et technologies extraterrestres. De son côté, la série Time TravellerTM (2013) de l’artiste mohawk Skawennati investit le cyberespace au moyen de machinimas – un procédé de création filmique réalisé dans l’univers virtuel du jeu vidéo Second Life – mettant en scène un jeune protagoniste mohawk qui utilise des lunettes lui permettant d’expérimenter des événements marquants de l’histoire des Premières Nations, telle que la Crise d’Oka de 1990. L’utilisation du nouveau média permet de vivre par procuration – à travers les yeux d’un avatar – une expérience incarnée, où les voyages temporels facilitent la décolonisation des récits hégémoniques et l’auto-détermination des peuples autochtones. Motivés par un refus des stéréotypes liés à une vision passéiste de « l’indien sauvage », les deux artistes entretiennent un rapport à la technologie et à l’iconographie pour réenvisager les biais coloniaux de l’histoire.

La science-fiction constitue un terrain idéal pour réécrire l’Histoire de façon plus inclusive, pour affecter le présent dans une perspective d’émancipation et pour imaginer des futurs alternatifs plus justes. 

Imaginer le futur

D’autres œuvres incluses dans l’exposition signalent d’abord un présent instable pour y suggérer un futur alternatif, faisant appel à des représentations apocalyptico-dystopiques de paysages d’après-guerre teintées des codes du sci-fi. Alors que le court métrage en réalité virtuelle The Hunt (2017) de l’artiste crie et métisse Danis Goulet montre une séance de chasse entre un père et sa fille qui se voit interrompue par l’omniprésente surveillance de terres souveraines pas des « sphères automates », le documentaire fictif In the Future, They Ate From the Finest Porcelain (2015) révèle les actions d’un groupe de résistance qui procède à l’enfouissement de pièces de porcelaine destinées à être découvertes plus tard par des archéologues, envisageant ainsi les réclamations à venir de leur territoire. Présenté à Sporobole, le film produit par l’artiste palestinienne Larissa Sansour en collaboration avec le réalisateur danois Søren Lind met en évidence la construction fictive des faits sur lesquels l’Histoire dominante est basée par la fabrication de témoins artéfactuels.

Dans une perspective davantage utopique qui reflète les limites d’un état présentiste, le Iyapo Repository initié par les artistes afro-américains Ayodamola Okunseinde et Salome Asega envisage quant à lui une bibliothèque de ressources composée d’artéfacts spéculatifs prenant la forme de sculptures, de dessins et d’installations vidéo. Positionné entre les espaces physiques et numériques, et sur une échelle temporelle actuellement insaisissable, le projet est issu d’un processus de co-imagination participative qui explore les possibilités matérielles et techniques d’un futur plus juste pour les communautés afro-américaines. Suivant l’idéation des participants, les artistes prototypent les objets proposés pour enrichir la collection, tels que des boîtiers de pilules appelées Afromation conçues pour transmettre des informations historiques.

Larissa Sansour & Søren Lind, In the Future They Ate from the Finest Porcelain (2015)
Vue d’installation de l’exposition, Centre en art actuel Sporobole
Photo : Tanya St-Pierre

Et vice-versa 

Finalement, Images fabuleuses projette une vision kaléidoscopique du temps en rassemblant des œuvres qui emploient des processus de spéculation multidirectionnelle, tant dans une perspective de réinterprétation corrective du passé que pour se projeter dans l’avenir. Les artistes qui en font partie illustrent la nécessité, pour penser le futur, de (re)considérer les compréhensions généralement acceptées de l’Histoire occidentale. Allant de pair avec un désir de refléter un état des choses qui dépasse le monde de l’art pour couvrir plus largement la culture populaire, les commissaires ont employé une approche anthropologique. L’exposition rend ainsi compte d’une représentativité du discours qui se construit présentement autour des enjeux identitaires au contact de la science-fiction. Les œuvres présentées sont celles d’artistes incontournables dont le travail reflète les considérations contemporaines des courants de futurisme non occidental. Bélanger et Tourigny-Fleury invitent les visiteurs à considérer avec un regard critique les œuvres littéraires, chorégraphiques et artistiques, tout « en gardant à l’esprit les enjeux représentationnels soulevés par les artistes de l’exposition ».


Images fabuleuses. Quand la fiction prend racine
Galerie d’art Foreman de l’Université Bishop’s et Centre en art actuel Sporobole, Sherbrooke
Du 16 janvier au 21 mars 2020