Interactions chorégraphiées : danser ensemble à la Galerie de l’UQAM
La Galerie de l’UQAM présentait à la rentrée 2022 l’exposition collective à corps perdu | sharing madness1, commissariée par les Montréalaises Florence-Agathe Dubé-Moreau et Maude Johnson, rassemblant des artistes et des chorégraphes d’ici et d’ailleurs autour des usages du geste dansé et de l’idée centrale de « se mouvoir ensemble ».
Une question se pose à travers les œuvres d’Amrita Hepi, Hanako Hoshimi-Caines, Ligia Lewis, Lo Fi Dance Theory, Benny Nemer, Andrea Peña et Andros Zins-Browne : « que peut révéler la chorégraphie sur nos besoins de communauté et nos liens interpersonnels » ? Les commissaires considèrent la danse comme un médium à privilégier pour redéfinir nos interactions. Les propositions en action explorent des façons autres de se mobiliser par la résistance et de s’activer ensemble pour ne plus se perdre dans la distanciation et l’isolation. Celles-ci ont été réalisées ou réactualisées pendant la période de restrictions sanitaires qui a également été marquée par des enjeux environnementaux et par des mouvements sociaux comme Black Lives Matter et Every Child Matters, qui critiquent l’histoire coloniale dominante et le racisme qui en résulte. L’exposition s’appréhende via des expériences d’écoute avivées par la spatialisation des œuvres faite par Dubé-Moreau et Johnson : des archives de mouvements de persévérance et de résilience, des matérialités de chorégraphies militantes, des corporalités écraniques puissantes disposées de sorte à favoriser la proximité.
Les expressions ciblées dans ce texte pour leurs trajectoires communes ont des intentions à la fois révélatrices et réparatrices à l’égard de stigmates sociétaux. Le corpus d’une imposante sensibilité du chorégraphe états-unien Andros Zins-Browne comprend Contagion, Intimacy et Survival (2021), des œuvres textuelles exposées en des installations sonores immersives. Les résonnances diffusées en subtilité dans les espaces réfléchis – circonscris – par les commissaires interagissent avec les visiteuses et visiteurs en circulation et les incitent à s’interroger sur la présence – et l’absence – de l’artiste dans le cas d’une pièce chorégraphique désincarnée. Dans le cadre de cette exposition, l’artiste a aussi déployé SurrEndErr (2021), une performance corporelle éprouvante, nommément par sa dimension vocale intensive, sorte de réverbérations impulsives. Alors que celui-ci sautait sur lui-même à pieds joints en proclamant ses manifestes névralgiques, des piécettes de monnaie emplissant les poches trouées et renversées de son jeans s’éparpillaient devant les convives. Comme l’affirme le duo de commissaires, les actions de désistement et de lâcher-prise de Zins-Browne ne sont pas pour autant un renoncement ; elles sont un don de soi, des offrandes d’abandon et de laisser-aller. L’œuvre deader than dead (2020) de la danseuse dominicaine Ligia Lewis, adaptation vidéographique d’une chorégraphie aux considérations identitaires initialement imaginée pour la biennale Made in L.A. au musée Hammer de Los Angeles, s’insère en écho aux compositions d’Andros Zins-Browne par son intégration numérique à l’architecture de la galerie. Les gestes « de vécus racisés », comme l’écrivent les commissaires, exécutés selon l’affabulation du monologue de Macbeth (1623) de William Shakespeare, soulèvent certaines des injustices subies par les communautés noires, dont la discrimination institutionnelle. La chorégraphe canadienne d’origine colombienne Andrea Peña offre quant à elle l’œuvre cinématographique 6.58: MANIFESTO (2021), un remaniement de son spectacle éponyme. Peña unit des interprètes afin d’explorer « l’être ensemble » parallèlement à notre surutilisation des systèmes technolo giques qui conditionnent nos façons d’interagir avec les autres. Les arrangements scéniques, impulsant les contacts entre les danseuses et danseurs, détraquent les engrenages d’(auto)mécanisation de nos corps programmés tels des machines et engagent des rapports partagés plus intuitifs et, de surcroît, cohésifs.
L’exposition à corps perdu | sharing madness est comparable à un élixir sensoriel capable de guérir les maux écolo-éthico-historicopolitiques de notre société. Se réunir, agir et danser à perpétuité à la Galerie de l’UQAM, en un espace (il)limité dans lequel nous nous retrouvons dans une structure de gestes organisés aux possibles incommensurables.
1 à corps perdu | sharing madness s’inscrit dans une série d’expositions portant sur la chorégraphie commissariée en duo par FlorenceAgathe Dubé-Moreau et Maude Johnson : … move or be moved by some ‘thing’ rather than oneself en 2018 à Critical Distance Centre for Curators (Toronto) et les gestes flottent, s’empilent et éclatent présentée en 2020 au Centre d’artistes en art actuel Regart (Lévis).
(Exposition)
à corps perdu | sharing madness
Artistes : Amrita Hepi, Hanako Hoshimi-Caines, Ligia Lewis, Lo Fi Dance Theory, Benny Nemer, Andrea Peña, Andros Zins-Browne
Commissaires : Florence-Agathe Dubé-Moreau et Maude Johnson
La Galerie de l’UQAM, Montréal
Du 9 septembre au 22 octobre 2022