Le travail vidéographique, photographique et performatif de Janet Biggs explore la thématique des extrêmes, qu’ils soient géographiques ou physiques. Dans ses vidéos, elle n’a de cesse de repousser les limites — humaines, géographiques et psychologiques — en invitant ses « personnages » à aller au-delà d’eux-mêmes. Le plus souvent, elle y parvient en les suivant — et en se soumettant au même contexte qu’eux — dans leur quotidien, qui chaque fois a quelque chose d’exceptionnel.

Cette fascination pour les métiers inusités mettant à mal la résistance de l’humain est au cœur des quatre projections vidéographiques monobandes que l’on peut voir au Musée d’art contemporain de Montréal. Réalisées entre 2010 et 2012, In the Cold Edge (Dans le gouffre froid, 2010, 5 min 29, de la série The Arctic Trilogy), Fade to White (Fondu au blanc, 2010, 12 min 28), Brightness all Around (La clarté tout autour, 2011, 8 min 36) et A Step on the Sun (Un pas sur le soleil, 2012, 9 min 22) présentent des êtres solitaires évoluant dans des environnements atypiques, rudes, inhospitaliers, voire dangereux. Au fil des trois salles de cette exposition intimiste (espaces sombres et froids, avec pour tout artefact des écrans flanqués de haut-parleurs), on découvre : un expert en spéléologie, une femme travaillant dans une mine de charbon, un explorateur de l’Arctique, ainsi qu’un mineur de soufre. Question peut-être d’éprouver le visiteur, deux des trois salles n’offrent aucun siège, le forçant à passer les quelques minutes que durent ces films debout. Posture inhabituelle à l’activité cinématographique, même pour de très courts métrages.

D’abord, un spéléologue dans une grotte d’une région glaciaire. Un casque d’écoute permet d’entendre qui la musique de Blake Fleming, qui les « sons du froid » faisant frissonner, même dans une salle de musée. Cette entrée en matière  individuelle mène le promeneur au cœur de l’exposition, dans une grande salle où sont projetés en alternance deux films sur des écrans disposés face à face, et qui se font écho en termes thématique autant que structurel. Ces deux vidéos lumineuses, dont l’action se déroule dans des territoires nordiques, sont construites grâce à un montage alterné de scènes en extérieur, montrant un individu dans une nature hostile (un kayakiste dans l’Arctique ou une travailleuse d’une mine de charbon) et d’images d’un performer en milieu clos. Dans Brightness all Around, une femme mineure sillonne des tunnels sombres, froids et oppressants ; opérant des brèches dans ce voyage au cœur des entrailles de la Terre, des extraits d’une performance éminemment sensuelle sur fond sombre de Bill Coleman (nom de famille prédestiné !) chantant et exécutant une danse rituelle. Dans Fade to White, les images d’un kayakiste solitaire (que Biggs associe à la figure du « Solitary White Male Explorer » dans ces blanches contrées virginales) sur une mer encombrée de glaces alternent avec des images, immaculées, du contre-ténor John Kelly interprétant des airs en mode mineur. À l’évidence, les thèmes de la perte, de la disparition et des cycles de la vie sont récurrents dans cette œuvre dont le titre (Fondu au blanc) renvoie à un effet optique de transition de l’image vers le blanc (en opposition au fondu au noir), symbolisant généralement la mort, la résurrection, la renaissance ou la transcendance spirituelle. La pureté de Kelly, tout de blanc vêtu, son androgynéité, tant par son physique que sa voix, contraste avec la « mâlitude » du kayakiste barbu, autant que la sensualité de Coleman tranche avec la réserve de la mineure maculée de cambouis.

Après cette « salle de résistance » tout en froidure, le parcours se termine sur une vidéo récente intitulée A Step on the Sun, montrant un mineur indonésien extrayant du sol des cristaux de soufre qu’il transporte, à flanc de volcan, dans de lourds paniers posés sur ses frêles épaules, avant de s’éclipser dans un effet d’images kaléidoscopique, tout en haut de la montagne, comme dissout par un soleil de plomb. On quitte l’exposition sur cette invitation à rêver, à s’envoler.

Tous les « personnages » de Biggs sont filmés dans leur milieu de travail habituel, au-delà duquel l’artiste perçoit une manifestation des quêtes existentielles de l’humanité. Au sujet de ses motivations, l’artiste explique qu’elle cherche « à susciter une réflexion sur les hiérarchies de pouvoir, les structures sociales et les rapports de l’individu avec le désir ». Ce qu’elle réussit fort bien ici.

JANET BIGGS
Musée d’art contemporain de Montréal
Du 4 octobre 2012 au 6 janvier 2013