Jessica Peters
D’autres espèces d’espaces
Dans son livre intitulé Espèces d’espace, l’écrivain Georges Pérec développe ses réflexions sur les lieux, la ville, la campagne, le monde. Ce n’est pas dans des mots, mais dans des tableaux que Jessica Peters fait part à ses spectateurs de ses réflexions sur son environnement immédiat.
La petite ville de Lachute où Jessica Peters travaille constitue un bon exemple du monde en perpétuel changement, dont les transformations au fil du temps représentent pour elle un centre d’intérêt majeur. Tantôt la nature reprend ses droits dans des constructions abandonnées, tantôt elle est repoussée pour faire place à des lotissements. Ainsi, le paysage que l’artiste interprète porte-t-il toujours la marque de l’intervention humaine. Par ailleurs, les tableaux de Jessica Peters sont aussi construits à partir de réflexions optiques. Depuis 2014, elle a exposé quatre toiles qui incluent le mot « réflexion » dans leur titre. Dans la réflexion, le sujet apparaît modifié par la lumière. Jessica Peters utilise les nombreuses photographies de reflets qu’elle prend au cours de ses déplacements dans sa région pour créer ses œuvres. Les vitres et l’eau sont les surfaces réfléchissantes qui sont à la base de son travail. Il pourrait être lu comme une manière de se distancier de la représentation classique du paysage, attitude propice aux artistes contemporains.
Le tableau intitulé Fenêtre ne représente pas une fenêtre, il se borne à en suggérer l’idée. Il introduit le spectateur dans un monde qui le déstabilise. La fenêtre est un thème que les peintres ont souvent exploité, car il permet de joindre la représentation de l’intimité à celle de la nature. Matisse et Bonnard, parmi bien d’autres, s’en étaient fait une spécialité. Jessica Peters emploie le reflet pour susciter une confusion entre l’intérieur et l’extérieur. Le plâtre, gonflé par l’humidité, se dégrade sur le mur d’un appartement abandonné, comme le montre la texture granuleuse de la peinture. Mais la pièce ne devrait pas être visible, puisque les stores verticaux, peints en hard edge, sont apparemment fermés. Le triangle qui se découpe sur le mur pourrait être la trace de la hotte de la cuisine, tandis qu’un rectangle blanc semble le reflet de la fenêtre d’une maison située de l’autre côté de la rue. Cette composition joue sur l’ombre et la lumière dans un magnifique camaïeu de beige.
C’est la réflexion sur l’eau qui est pour Jessica Peters le point de départ de la création de Piscine. Voici que le spectateur est placé devant le plongeoir. Une invitation à sauter ? Mais, le reflet d’une montagne, qui n’est pas représentée dans l’œuvre, est si précis qu’il craindrait de s’écraser sur les rochers. Seule une surface texturée terre d’ombre, en haut du tableau, rappelle la proximité de l’original. Le bleu de Prusse transparent de l’eau contraste de façon parfaite avec le rouge sombre du bord de la piscine.
Dans la toile intitulée Reflet, l’artiste a travaillé à partir du reflet qui se produit sur l’eau en mouvement, tel qu’il peut apparaître à la surface d’une rivière entre des berges verdoyantes. Formes et couleurs se mélangent comme dans le papier marbré que l’on obtient en versant de façon aléatoire des pigments dans une cuvette remplie de liquide. Le reflet devient plus sombre derrière des barres verticales qui ressemblent à une barrière à claire voie. Au premier plan, une large plaque, dont les rayures grises et blanches peuvent faire penser à celles qui ont fait la célébrité de Daniel Buren, semble en quête du point de fuite.
Le tableau Sans titre confirme le sens abstrait qui est primordial dans les œuvres de Jessica Peters. Un pseudo pont de bois qui se dirige vers la ligne d’horizon bute sur une barre terre de Sienne striée. Plus haut, s’étend une vaste étendue de reflets mouvants multicolores interrompue par une barre, plus large que la première, qui évoque un champ prêt à être ensemencé. Au-dessus, entre deux montants noirs, une grande surface gris clair sur laquelle flottent des touches blanches.
La peintre intègre la perspective comme un leurre pour faire croire au spectateur qu’il se trouve devant un environnement familier. Puis elle l’amène progressivement à découvrir qu’il fait face à un univers qui n’obéit qu’à ses propres règles. Le sujet des œuvres de Jessica Peters est en fait le tableau ; sa composition, d’ailleurs, s’appuie sur une structure géométrique et sert la matérialité du médium qu’elle utilise : l’acrylique et la peinture aérosol. Elle obtient ainsi des contrastes entre des surfaces lisses et des parties texturées qui suscitent irrésistiblement le désir haptique. L’artiste invente ainsi sans cesse d’autres espèces d’espaces qui s’éloignent de plus en plus du monde qu’elle a observé.
Jessica Peters Œuvres récentes
Galerie Simon Blais, Montréal
Du 8 mars au 15 avril 2017