Quatre cages vitrées, transpercées de pointes cuivrées, s’ouvrent et se referment mécaniquement. En leur centre, des formes humaines dessinées ou sculptées sont emprisonnées. Dans certaines cages, des personnes réelles sont invitées à prendre part à l’aventure. Les mouvements lents et cycliques du dispositif font éclater les pièges, mais sans libérer leur proie. Cette situation engendre un malaise. Comme l’explique Joëlle Morosoli, les cages proposent un espace psychologique où les aléas de l’existence et les sagaies menaçantes soulèvent autant de peurs et de sentiments à affronter. Fidèle à sa démarche, l’artiste réalise des dispositifs particuliers qui mettent aux prises l’être humain à des situations contraignantes. Son installation s’apparente ainsi à un laboratoire où l’emploi de la matière, du mouvement et de la lumière déclenchent chez le public une expérience à la fois esthétique, cognitive et sensorielle.

Théoricienne et praticienne de l’art, Joëlle Morosoli publie en 2007 un ouvrage intitulé L’installation en mouvement, une esthétique de la violence. Dans ce livre, elle interroge, dans l’histoire de l’art contemporain, la spécificité du cinétisme dans l’élaboration d’installations traitant de violence. La dernière section est réservée à sa propre production. Selon l’artiste, l’installation en mouvement a l’avantage d’interpeler tous les sens du regardeur. Car, contrairement à l’image filmique ou photographique, l’expérimentation artistique s’effectue en temps réel, à l’intérieur d’un espace physique concret et tangible, ce qui favorise une production de sensations à caractère kinesthésique. Cet aspect est bien présent dans l’exposition. Le mouvement de va-et-vient des cloisons transparentes produit une tension que le spectateur vit sur-le-champ. Rien n’est différé, rien n’est fictif. Le corps réagit à des forces et à des pulsions qu’il ne contrôle pas et qui se répercutent dans son inconscient, lui procurant une inquiétante étrangeté. Ce terme renvoie au concept freudien qui associe la naissance d’un malaise à une rupture dans la rationalité rassurante de la vie quotidienne. Devant l’installation de Joëlle Morosoli, le visiteur éprouve le même inconfort. Le rapport à l’existence devient conflictuel et conditionne chez lui de nouveaux états émotifs. De plus, l’utilisation de la lumière qui projette sur les murs les ombres portées des structures en déplacement favorise l’immersion des spectateurs. Ceux-ci évoluent dans un environnement global qui s’apparente à une gigantesque scénographie. Ainsi, le dispositif créé par l’artiste s’insère dans une organisation spatiale qui ouvre et accentue les possibilités de perception sensible du public.

Le mouvement comme producteur de sens

Le mouvement inhérent à son installation permet aux spectateurs d’entrer en communication immédiate avec l’œuvre. Tel que le spécifie Edmond Couchot dans son livre Images, De l’optique au numérique, l’objet en mouvement est perçu comme une machine informationnelle qui communique avec une autre machine, soit le système optico-physiologique du regardeur. Celui-ci réagit instantanément à des stimuli visuels, tactiles et auditifs, peu importe le degré de compréhension de l’œuvre et des références conceptuelles qui lui sont associées. Ce qui intéresse Morosoli, c’est l’impact du processus sur la psyché humaine. C’est pourquoi, chez elle, les effets perceptifs ne constituent pas une fin en soi, mais plutôt une manière de faire réagir l’individu en stimulant son instinct de survie. Voilà le sens de son œuvre qui lie un système symbolique et psychique à une structure fonctionnelle en mouvement. Cette méthode, caractéristique de sa démarche esthétique, constitue le fondement de son art et son apport à l’évolution de l’installation comme discipline artistique. 

TRAQUENARD 
Maison de la culture de Côte-des-Neiges, Montréal
Du 14 mars au 21 avril 2013