Julie Trudel – Vibration chromatique
La peinture abstraite établit un langage pictural basé sur la poésie de la plasticité. Couleur, texture, vectorialité dialoguent pour donner à voir une configuration visuelle qui entraîne une émotion (émerveillement, colère, étrangeté, etc.) et qui ouvre les portes de l’imaginaire. Chez Julie Trudel, l’abstrait questionne davantage la physicalité de la couleur et les effets d’optique que cette dernière provoque. L’émerveillement est moins émotionnel que sensoriel, puisque c’est celui du corps qui est mis en avant. Le dripping contrôlé que pratique l’artiste produit chez le spectateur une dé-stabilisation physique : visuelle (pour ne pas dire optique) et kinesthésique.
De patience et de minutie
Dans la Zone Molinari de la Maison de la culture Maisonneuve, Julie Trudel présente CMYK-phase 1, un ensemble de sérigraphies préparatoires ainsi que deux séries de peintures, l’une composée d’œuvres de forme ovale, l’autre d’œuvres de forme circulaire. Les peintures ont été réalisées à partir d’un procédé simple et précis qui, en même temps, laisse part à l’aléatoire. L’artiste place dans un contenant, sans les mélanger, quatre peintures liquides de couleur pure : cyan, magenta, jaune et noir (les quatre couleurs utilisées dans l’imprimerie). Ensuite, goutte à goutte, elle déverse le liquide sur la toile en partant d’une extrémité du tableau. De fait, les gouttes de peinture dessinent une spirale chromatique. Chacune est différente dans la mesure où les couleurs se mêlent entre elles de manière aléatoire avant de se déposer sur la toile. L’artiste se demande s’il est possible, à travers la répétition d’un même procédé, « de faire surgir de la matière des dimensions de la couleur qui n’auraient pas encore été domestiquées, codifiées, ramenées à de l’information ». Questionnement d’autant plus légitime que son travail montre particulièrement bien les enjeux de la matérialité, de la physicalité de la couleur, dans un langage plastique singulier.
Chez Julie Trudel, le caractère matériel de la peinture est engagé dans un jeu de tension : entre ordre et chaos, entre contrainte et liberté.
Tension et perception
Chez Julie Trudel, le caractère matériel de la peinture est engagé dans un jeu de tension : entre ordre et chaos, entre contrainte et liberté. Mais la tension peut prendre d’autres formes, elle se décline aussi dans la dimension perceptive. Face au foisonnement chromatique (pour ne pas dire la saturation plastique), le spectateur éprouve une tension rétinienne. Celle-ci est doublée par un autre phénomène physique : les configurations spiralées des œuvres produisent un effet d’optique, de mouvement. Il ne s’agit pas pour autant d’illusion d’optique – comme on peut le voir dans la spirale de Fraser – ; le système visuel n’est pas trompé par un agencement plastico-iconique. La saturation plastique de la couleur et la forme spiralée produisent une tension rétinienne dont l’effet se propage dans notre propre corps. Non seulement la vue est sollicitée, mais aussi la dimension kinesthésique. En outre, l’effet de mouvement n’est pas uniquement dans le tableau ; il dépasse le tableau. Il est accentué par la disposition de l’ensemble des œuvres dans la Zone Molinari. Le fait que le centre de la spirale de chaque tableau soit excentré, que ce centre soit disposé sur une même ligne horizontale, induit une dynamique d’ensemble, un mouvement qui fait dialoguer les œuvres entre elles et rythme l’exposition.
Si chez Julie Trudel la peinture abstraite questionne la matérialité de la couleur, elle est d’autant plus émerveillement qu’elle est éveil, voire réveil, du corps et des sens.
Julie Trudel, CMYK-PHASE 1
Maison de la culture Maisonneuve, Zone Molinari, Montréal
Du 2 décembre 2011 au 8 janvier 2012