La bienveillance du « prendre soin »
C’est à l’occasion de la réouverture de la coopérative Méduse en octobre 2021 que le centre VU a regroupé le travail de quinze artistes autour de l’idée de « prendre soin », sous le titre Être au monde. Si cette exposition a réuni une panoplie d’œuvres offrant à réfléchir à cette notion, son élaboration a découlé d’un processus qui en est une véritable mise en pratique. Ainsi, cet ensemble dépasse les limites des galeries pour incarner une bienveillance à travers les arts. Celle-ci est certainement la bienvenue à cette époque où l’on nous affirme que la productivité est plus importante que de prendre un temps pour reconnaître et commémorer les blessures passées et actuelles de nos pairs1.
ÊTRE ENSEMBLE
L’idée d’une telle exposition germait depuis un moment au creux des pensées de Jacynthe Carrier et d’Anne-Marie Proulx, codirectrices du centre. Inspirées à l’idée de rassembler une sélection d’œuvres autour de la notion de « prendre soin », elles ont décidé d’inviter des artistes à réfléchir à cette dernière avec elles. C’est ainsi que s’est développé le concept de résidences à domicile accompagnées de discussions avec les codirectrices, qui sont même allées jusqu’à visiter les artistes dans l’intimité de leur création. Ensemble, les artistes et les codirectrices ont pris un temps pour réfléchir, pour ressentir et tenter de comprendre ce que cette posture pouvait signifier. Ces discussions, au-delà d’un regard global, ont entre autres mené à réfléchir au processus de création, au plaisir qu’il apporte autant qu’à la pression qui l’accompagne. Au final, ce sont les récits, les conversations et les moments de partage – soit un certain « être ensemble » – qui ont été mis de l’avant dans l’exposition, tout comme les créations des artistes.
Une fois dans les galeries, les ouvrages issus des résidences – qui n’avaient d’ailleurs pas à être achevés et qui prenaient majoritairement la forme de photos et de vidéos – révélaient une constellation de manières par lesquelles il est possible de prendre soin. Ainsi, à travers son geste de laver les pieds d’autres artistes, Stanley Février mettait de l’avant l’humilité avec Neiges à la mer (2021). Pour sa part, le collectif Les Entêtées rappelait avec Ce qui nous tient ensemble/That which binds us together (2021) l’importance et la beauté du partage. This enchanted place (2020-2021), révélant des images du quotidien familial et rural de Cynthia Johnston, évoquait le dévoilement de l’intime. Stéphanie Béliveau, avec Récoltes journalières (2021) montrait, quant à elle, le potentiel du regard sur soi par le biais d’un regard sur le monde. L’installation Prototype de tuteurage pour La société des plantes (2021) de Patrice Fortier dévoilait l’importance du lien à notre environnement, à la terre. Arkadi Lavoie Lachapelle, dans sa réappropriation de vidéoclips cultes des années 1990 au moyen de projections de diapositives, et dans sa mise en lumière de l’inconfort qu’ils suscitent lorsqu’on s’y penche, montrait que de s’engager est aussi une manière de prendre soin. On retrouvait d’ailleurs cette implication sociale avec Il y a trop d’images (2021) de Martin Bureau, véritable retour aux sources de sa création. Finalement, Lydia Mestokosho-Paradis, avec son œuvre ashte-kashkuan (2021) qui incluait une protection que le public pouvait ramener chez lui en guise d’offrande, mettait en évidence l’importance de s’occuper de soi, de se souvenir, rappelant qu’il existe une lumière derrière le brouillard.
ÊTRE SENSIBLE
Cet ensemble se traduisait par une douceur qui enveloppait quiconque mettant le pied dans la galerie. Si le concept à la base de l’exposition s’est élaboré autour de réflexions sur l’idée de « prendre soin », son essence contaminait le spectateur en l’invitant non seulement à s’y pencher, mais aussi à vivre ses différentes formes. « Merci d’être venus de si loin pour nous voir » sont d’ailleurs les mots qui accueillaient le visiteur dès son arrivée, dans une lettre offerte telle une main tendue. Puis, chaque œuvre invitait à expérimenter les facettes de cette posture. Et au fil de ces expériences s’installait une sérénité, suscitée par cette accumulation de bienveillance.
Tout comme les artistes qui ont utilisé le temps de réflexion des résidences – au printemps et à l’été derniers – pour sonder et revoir les fondations de leur processus créatif, les spectateurs ont eu l’occasion de revoir les bases de leur sensibilité à l’art. En effet, les photographies de Jacynthe Carrier et d’Anne-Marie Proulx, « camouflées » dans l’espace d’exposition, ont permis de restaurer un esprit de jeu dans une expérience de l’art aujourd’hui (trop) intellectualisée. La découverte de chacune d’entre elles restituait l’émerveillement et le désir d’exploration. Par ailleurs, chaque création, par sa sensibilité et sa douceur, incitait à une approche plus instinctive, émotive, humaine de l’art. Une approche qui, finalement, nous rappelle que nous savons comment prendre soin. Comment Être au monde.
1 En référence au premier ministre du Québec qui, dans la foulée de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, a refusé de faire de ce jour un congé férié, affirmant que : « Nous avons besoin de plus de productivité. » Voir Fanny Lévesque et Tommy Chouinard, « Pas de congé férié au 30 septembre au Québec, dit Legault », La Presse, 30 septembre 2021, [En ligne].
(Exposition)
Être au monde
Artistes : Stéphanie Béliveau, Les Entêtées, Martin Bureau, Stanley Février, Patrice Fortier, Cynthia Johnston, Arkadi Lavoie Lachapelle, Lydia Mestokosho-Paradis Vu
Centre de diffusion et de production de la photographie
Du 29 octobre au 5 décembre 2021