Pour le premier volet de cette édition qui se déroulera en deux temps, le festival des HTMlles a décidé d’adopter la posture « Slow Tech » choisie par Ada X en 2018. Les œuvres, tables rondes et ateliers interactifs proposés ont ainsi suivi l’angle du ralentissement technologique afin de mieux percevoir les rythmes et les changements écologiques réels, perturbés depuis la révolution industrielle par l’exploitation sans vergogne des ressources naturelles. Cette édition des HTMlles se veut un carrefour où l’écoféminisme, la technocritique et les arts médiatiques se croisent pour analyser les crises climatique et sanitaire et, surtout, réfléchir à l’après. Un peu plus d’un an après la déclaration de la pandémie de la COVID-19, peut-on encore demeurer aveugle face aux politiques et aux comportements – individuels et collectifs – qui y ont mené ?

Dans la table ronde « Face aux troubles de l’urgence écologique, la lenteur et la durabilité comme modes de production et de création », la commissaire Ariane Plante a réuni une dizaine d’artistes, de chercheuses et de chercheurs1 qui explorent le retour à la terre comme piste de solution durable pour sortir de l’impasse de la crise climatique. De l’énergie émergeant des couches profondes du sous-sol jusqu’aux résidus flottant dans l’atmosphère, les sujets abordés sont variés : il n’est ni question de croissance, ni d’accélération, mais plutôt du développement de processus artistiques sensibles qui mettent fin à la spirale de la productivité, du rayonnement et du spectaculaire. Ces propositions trouvent ainsi leur inspiration dans les écosystèmes naturels, notamment dans leur temporalité plus douce, qui varient au gré des saisons, des géographies et des topographies diverses. Car les arts visuels, qu’on le veuille ou non, ont également suivi la tendance à la surconsommation, à la surproduction et à l’uniformisation. Des rouages difficiles à défaire puisque ce sont non seulement les artistes qui y sont liés, mais aussi les centres d’artistes, galeries et musées qui les diffusent, les organismes subventionnaires qui les financent, et les publics qui les reçoivent. Tout un écosystème à repenser, de façon plus responsable, solidaire et durable. Mais par où commencer ?

Aislinn Thomas, Three Windows (2018)
Vue de l’exposition Holding Patterns
Photo : Priam Thomas pour Art Spin

Comme le suggère l’artiste Aislinn Thomas avec sa vidéo Three Windows (2018), le passage à la lenteur s’opère par un regard neuf posé sur nos environnements quotidiens. Dans cette vidéo fixe, une fenêtre vue de l’intérieur, de jour : le récit contemplatif tripartite dépeint trois fenêtres de la maison de l’artiste recouvertes chacune d’un rideau qui oscille subtilement avec le souffle du vent. Aislinn a invité trois autrices – Anna Bowen, Catherine Frazee et Laura Burke – à participer à l’œuvre sœur, Three Windows described by three voices […](2020), en créant chacune une description audio qui transgresse les codes de l’audiodescription traditionnelle. Le descriptif laisse ici place au poétique, au symbolique, à l’onirique : il n’est pas question de savoir exactement de quoi ont l’air la fenêtre et les objets qui l’entourent, mais plutôt de s’intéresser aux points de vue des artistes. La piste audio de Three Windows described by three voices […] met l’accent sur les mots des autrices, et leur traduction sensible du visible. Dans Three Windows, regarder les lourds rideaux qui bougent à peine a quelque chose d’apaisant, tout comme, dans l’œuvre sœur, les doux murmures de Bowen, de Frazee et de Burke qui chatouillent l’imagination comme le creux de l’oreille.

Les clics qui nous guident d’une vidéo à une autre, puis vers une série de balados, nous éloignent peut-être de la réassurance du point de départ, mais ils nous permettent surtout d’apprivoiser la lenteur ; de laisser le temps faire son œuvre plutôt que l’œuvre faire son temps.

Le changement de temporalités se trouve également au cœur du programme vidéo Perturbations écologique: ralentir, réfléchir et réimaginer du Groupe Intervention Vidéo (GIV), commissarié par Verónica Sedano Alvarez. Ses cinq vidéos interpellent, d’une part, le temps présent et des actions lentes qui se déploient en temps réel et, d’autre part, le futur et ses utopies, qu’elles soient catastrophiques ou salvatrices. Dans Hello Earth (2020) de la cinéaste Vjosana Shkurti, la luminosité d’une ampoule est altérée par des substances qui en bloquent partiellement la surface : de la peinture qui l’opacifie d’abord, puis la cire d’une chandelle qui fond et coule sur son globe avec la chaleur incandescente. L’ampoule n’est pas sans évoquer l’installation interactive Pulse Room (2006) de Rafael Lozano Hemmer, exposée au Musée d’art contemporain de Montréal en 2014, dans laquelle trois cents ampoules scintillaient au rythme des battements de cœur des personnes ayant enregistré leurs pulsations cardiaques. À l’opposé du spectaculaire de Lozano-Hemmer, Shkurti privilégie l’ordinaire, les lentes variations et l’agentivité de la matière, laquelle se trouve au cœur de Troubling Ecologies (2019) des designers et architectes Sierra Druley et Jean Ni, où des îlots de plastique composent la topographie d’un monde futur. L’hégémonie du plastique découle de la séduction capitaliste et de la consommation grandissante de ressources pour subvenir à nos envies décuplées. La narration robotique rappelle la vulnérabilité et la porosité de nos corps, ainsi que les impacts irréversibles de la dépendance au pétrole sur l’environnement, les corps et autres organismes vivants. La question est donc de réfléchir l’être plutôt que l’avoir, comme le suggère avoir et être (2020) de l’artiste lamathilde, et ainsi de repenser la relation entre êtres vivants, économie, nature et politique en termes de solidarité pour échapper à la dérive qui nous guette.

Sur l’exposition virtuelle S’éclipser | Phases of Resilience (2020), la dérive est tout autre : l’exposition est hébergée sur un site Web furtif qui change selon le moment de la journée en s’adaptant à la luminosité naturelle. L’expérience n’est donc jamais exactement la même : le curseur se déplace vers l’un ou l’autre des points cardinaux et révèle des œuvres qui, elles aussi, changent périodiquement. Ici, la dérive n’est pas perdition : au contraire, elle fait émerger de ses méandres des aventures insoupçonnées. Les clics qui nous guident d’une vidéo à une autre, puis vers une série de balados, nous éloignent peut-être de la réassurance du point de départ, mais ils nous permettent surtout d’apprivoiser la lenteur ; de laisser le temps faire son œuvre, plutôt que l’œuvre, faire son temps.

(1) Animée par Ariane Plante, la table ronde réunissait
Alice Jarry, Asa Perlman, Adam Basanta, Vanessa Mardirossian, Alex Bachmayer, Maria Checkhanovich, Matthew Halpenny, Philippe Vandal et PK Langshaw.

(2) Le titre complet de l’œuvre fait référence aux procédés d’audiodescriptions et se lit ainsi : Three windows described by three voices. Anna Bowen describes the first, a window with cream-coloured curtains of varied lengths, hanging from a sagging rod, occasionally blowing in the breeze. Catherine Frazee describes the second, a window covered by dense, grey curtains that respond to a gentle wind, the light peeking around the edges alternately growing and diminishing. Laura Burke describes the third, a window with off-white curtains that are at times still and at others billowing out or sucked back against the window screen (either fully or partially), the play and glow of light animating the space.

 


(Événement)

FESTIVAL HTMlles
ÉDITION SLOW TECH, EN LIGNE
DU 5 NOVEMBRE AU 5 DÉCEMBRE 2020