Le pouvoir au féminin
D’emblée, il faut dire que les 16 portraits photographiques de femmes inspirés de certains portraits de William Notman que Marisa Portolese aligne au Musée McCord souffrent de ne pas être présentés avec ceux du maître (1826-1891). Il faut consulter le catalogue de l’exposition Dans le studio avec Notman pour pouvoir comparer côte à côte quelques-unes des figures de femmes réalisées au cours de la seconde moitié du XIXe siècle par William Notman et celles tirées, en ce début du XXIe siècle, par l’artiste montréalaise Marisa Portolese dans des conditions à peu près semblables.
Pour réaliser les 16 portraits de son exposition Dans le studio avec Notman, Marisa Portolese s’est efforcée d’adopter les contraintes propres aux débuts de l’exploitation des techniques de la photographie : confinement dans un studio, appareil analogique, travail en argentique.
Au XIXe siècle, l’art de la photo est tributaire des normes de sa rivale, la peinture. C’est pourquoi les compositions de portraits, par exemple, exigent l’élaboration d’un décor avec des accessoires, et notamment une toile de fond. Le recours à une telle mise en scène donne l’illusion que le sujet a posé dans un salon ou au milieu d’un champ à la campagne.
Quoi qu’il en soit, entre Notman et Portolese, les différences sautent aux yeux. Portolese propose des photographies en couleur de grand format ; les clichés de Notman sont en noir et blanc et de dimensions plus intimistes.
Cependant, contrairement à Notman, Portolese ne triche pas : elle montre ostensiblement les bordures des toiles où sont peintes dans des proportions amplifiées des gerbes de fleurs rappelant certaines compositions d’artistes peintres en vogue au XIXe siècle. Mais, emportée dans son élan, elle prolonge la luxuriance de ses arrière- plans par une prodigalité de véritables vases et de paniers remplis de fleurs. De cette profusion résulte parfois une atmosphère paradoxalement plus artificielle que celle typique des clichés de Notman dont l’artiste montréalaise s’est inspirée, mais dont elle souhaite se distinguer. Littéralement submergés par le décor, les sujets de Portolese ne parviennent pas toujours à dégager pour le spectateur la particularité de leur caractère. Bref, la femme fait office de fleur parmi les fleurs.
De plus, loin de se libérer de leurs rapports avec l’esthétique de la peinture, les images de Portolese y font sans cesse référence. Comment ne pas remarquer le velouté de pêche à la Renoir dans le portrait d’Elisa Dimaria ? Comment ne pas songer aux portraitistes de la Renaissance italienne devant les tableaux représentant Molly Moreau et Greta Bergen ou encore Zoé Tousignant et Zelda Tousignant-Hall du type mère et enfant ? Comment ne pas voir dans le portrait de Lily Michaud ou celui de Tess Roby une citation préraphaélite ? Certes Notman se livre au même exercice. Cependant, au moins dans les portraits de femmes dont s’inspire Portolese, il insiste sur l’image sociale que projettent ses clientes. Car il répond à des commandes. Il est important pour le photographe de situer ses modèles dans un contexte qui corresponde à un milieu bourgeois auquel d’ailleurs elles n’appartiennent pas toutes, mais qu’elles aspirent à atteindre. L’idéal que construit donc Notman rejaillit sur ses personnages qui gagnent ainsi, certes par des effets de lumière et de cadrage subtils, une vérité parfois émouvante.
Portolese ne se veut pas bourgeoise mais féministe. Mais suffit-il de ne photographier que des femmes au milieu de fleurs pour se revendiquer féministe ? Comme Notman, Portolese joue aussi avec les éclairages, mais c’est pour souligner l’individualisme dont font état ses amies ou les personnes qu’elle a sélectionnées pour les photographier. Chez Notman, le décor met en évidence une société ; chez Portolese, il se donne comme l’expression d’un pouvoir, celui de la féminité.
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Commissaire : Hélène Samson. Musée McCord, du 25 mai 2018 au 10 février 2019
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Marisa Portolese Dans le studio avec Notman
Un catalogue bilingue (français, anglais) accompagne l’exposition Marisa Portolese. Dans le studio avec Notman. Il comporte un essai intitulé La rhétorique du décor où la commissaire Hélène Samson rappelle notamment que dans son exposition Belles de jour III : Dialogues with Notman’s Portraits of Women, Marisa Portolese avait déjà placé en parallèle ses portraits et ceux du photographe victorien. La commissaire se plaît à souligner que, profitant du programme de résidence du Musée McCord, Marisa Portolese a mis à nouveau en correspondance son travail et celui de William Notman, mais en élargissant, cette fois, l’éventail de ses modèles pour y inclure des enfants, des mères et des femmes âgées. Hélène Samson analyse les images de Marisa Portolese en considérant que le décor du studio est en quelque sorte le second personnage de ses compositions photographiques.