L’éclat du bronze
Au Centre d’art Jacques-et- Michel-Auger de Victoriaville, le bronze nous questionne, quand hier il ne faisait qu’affirmer.
Chantal Brulotte suspend-elle vraiment des roches plates au bout d’un fil pour sa Réminiscence d’un murmure ? Est-ce bien une procession carnavalesque de petits personnages en papier que la sculpteure Aline Martineau invite les observateurs à scruter dans le moindre détail ? Chacun à sa manière, les quinze artistes réunis par la commissaire Émilie Granjon pour l’exposition Déjouer les sens explorent le potentiel du bronze grâce aux bons soins de la fonderie d’art d’Inverness.
L’exposition se visite comme on écouterait un plaidoyer. Lui a-t-on jadis reproché sa pesante matérialité qu’aujourd’hui le bronze se fait léger, voire aérien. À l’accusation d’être incapable de se faire oublier, il répond en se déguisant en feuilles de chou, boutons de manchette ou encore dentelle. On se prend à admirer les couleurs chaudes et parfois chatoyantes de certaines œuvres, l’on saisit aussi l’importance du rôle du finisseur et du ciseleur (sablage, polissage, soudure, ciselure) qui contribuent l’un et l’autre à déjouer nos sens et à inventer de nouvelles formes. En portant l’illusion d’optique à son paroxysme, l’étonnante anamorphose d’Éric Lapointe exprime, par exemple, la rencontre essentielle des êtres qui mettent en commun leurs rêves et leurs mains.
Pour jouer avec nous, le bronze s’allie à ce que la nature peut offrir ou à ce que l’homme sait fabriquer. De sorte que Pascale Archambault1 nous captive avec deux œuvres sous le signe de la mutation science-fictionnelle et de l’hybridité mythique : une tête d’humain portant un panache ; un corps arbre-panache en marche, avec une jambe et un bras de bronze patinés au point d’être minéralisés. Les rêveries fantasmatiques se dématérialisent avec l’installation en ombre chinoise de Catherine Bolduc, qui interroge L’amour propre en recréant un paysage aquatique au féminin à partir de flacons de parfum. Et la paire de chaussures Stan Smith que Patrick Bérubé aurait posée sur une boîte en carton ? Ah, non ! Celle-ci est en bronze, comme la boîte, mais tant que l’on n’y touche pas, l’illusion est parfaite. Au final, ce qui semble léger risque de peser lourd, pour peu que le matériau acquière un caractère anthropomorphique.
Déjouer les sens rappelle aussi combien le bronze aime faire le spectacle. Dans Lights out de Guillaume Lachapelle, un Saint-Georges surdimensionné chevauche les minuscules toits sagement alignés d’une cité-dortoir. Il ne pourfend aucun dragon : à présent, il tue les espoirs d’un coup de lance sur un phare, et nos consciences peuvent continuer d’être endormies. Un rêve thaumaturgique se déploie aux côtés de ce Saint-Georges dévoyé : ce sont les Modèles pour un univers de Patrick Coutu, accumulation de petites sculptures granuleuses enroulées sur elles-mêmes ou prêtes à se déployer, telles des feuilles de papier. Non loin, Marc Dulude offre un songe de ce que serait une Arche courbe, à laquelle une peinture holographique donne vie.
Puis voilà L’homme Soleil, la grande murale de feu Jordi Bonet (1932-1979) réalisée cette année. Majestueuse dès que la lumière naturelle se tait au profit d’un éclairage intérieur, cette stèle à la vie délivre son message pour l’humanité entière avec fierté, grâce au surplus de présence qu’apporte le bronze. Située dans un lieu de passage, elle invite le public à la culture, au partage, à l’échange bienveillant ; elle le rassure comme les graciles Aparté 5 et Aparté 6 que l’artiste André du Bois a installées devant le Centre d’art. Ces œuvres de seuil sont moins théâtrales que poétiques, pour rappeler que le bronze, certes, adore la mise en scène, mais surtout qu’il peut se jouer de notre perception du monde. Ce faisant, il ouvre un champ de rêves et de songes qu’on ne soupçonnait pas.
(1) Pascale Archambault a gagné le prix du CALQ-Créatrice de l’année au Centre-du-Québec (2017).
Déjouer les sens – la fonderie d’art actuel dans tous ses états
Commissaire : Émilie Granjon
Centre d’art Jacques-et-Michel-Auger, Victoriaville
Du 2 novembre au 16 décembre 2017