Les 30 ans de CIRCA art actuel
Tout feu tout flamme
Pour célébrer ses trente ans, CIRCA art actuel déploie une exposition qui investit trois lieux : le local du Belgo et les Maisons de la culture Frontenac et du Plateau Mont-Royal. Aux commandes, le commissaire André-Louis Paré.
Sur les trois sites, un sujet commun : le feu, en hommage aux arts du feu car, avant d’emprunter la voie plus large de la spatialité en 2013, CIRCA art actuel, alors nommé le Centre d’exposition Circa, s’attachait à promouvoir les artistes céramistes avec la collaboration du Centre de céramique Bonsecours. André-Louis Paré n’a pas voulu restreindre son propos aux enjeux techniques de la céramique, et on lui en sait gré : il a donc élaboré une exposition d’art actuel et contemporain en tenant compte des caractères de chaque site.
Les ailes de CIRCA art actuel
Être un volcan et Éruption / Édification : à la Maison de la culture Frontenac, deux œuvres d’Yves Louis-Seize invoquent autant la beauté dangereuse de la fusion volcanique que le désir qui embrase l’esprit des hommes. Tout brûle et se consume, y compris les ailes d’Icare, désireux d’approcher du soleil comme la Phalène (2016-2018) de Bruno Santerre, songe-t-on en suivant les fils métaphoriques que tisse l’exposition. Car Icare, qu’est-ce en définitive, sinon cette brûlure du désir ?
La représentation la plus remarquable de la combustion, c’est une table en bois calcinée, où les perforations du feu forment une dentelle qui se projette sur le sol grâce à un savant jeu de lumière. Son titre ? Briller par son absence (2018). L’artiste ? Éric Sauvé. Cette ligne de pensée destructrice/ créatrice provoque aussi étonnement et déstabilisation, quand c’est la transparence qui l’incarne et que la lumière matérialise l’idée d’un Volcan comme le soutient Catherine Bolduc, à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal. Son nouveau théâtre d’ombres dévoile, en effet, une scène d’une luminosité inspiratrice. Lumière angélique, lumière de l’esprit : à chacun d’y trouver son compte. Dans tous les cas, c’est d’élévation qu’il s’agit.
Mais à trop vouloir s’élever, on tombe. À trop vouloir briller, on se consume et, au final, ne reste que la cendre. L’eau peut alors contrer le feu, s’il n’est pas déjà trop tard – la mer, on s’en souvient, n’aura pas sauvé Icare, mais lui aura servi de tombeau. Cet élément s’impose dans une exposition d’art contemporain et actuel : ultime décollement par rapport au sujet initial. Dès lors, Sauvé nous place sur une barge construite de bidons d’essence (Pour ce qui flotte, 2017), interrogeant de la sorte notre époque de surconsommation assujettie au carburant ; le duo Couturier Lafargue nous invite à observer, fascinés, le lac qui s’est formé dans le puits du site minier de Murdochville alors qu’il est l’aveu d’une catastrophe écologique (First Blast, 2018) ; l’artiste Denise Dumas/Samud Esined nous transporte en pleine tempête, grâce à son Incubateur (2017) inventé pour subsumer un de ses souvenirs d’enfance. Comme quoi, rêver le feu conduit à d’inattendus cauchemars d’eau.
Le corps des choses
Autre rêve : les choses, les êtres peuvent être façonnés, régénérés ou détruits par le feu. L’art de la céramique détient de tels pouvoirs ; le céramiste en est le dieu. Il est capable d’inventer de nouvelles formes exotiques aux couleurs gourmandes, comme Philippe Caron Lefebvre à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal. Ou d’envisager les choses sous l’angle de la fragilité et du luxe, comme Chantal Durand au CIRCA art actuel.
Le visiteur aime à contempler ces rêves, il aime aussi y participer. Catherine Sylvain le comble, en scénarisant ses créatures hybrides à la Bosch dans une installation géante. Il peut alors placer sa tête dans une ouverture grâce à laquelle il voit de près ces miniatures posées à hauteur d’yeux, et par-delà, la salle d’exposition de la Maison de la culture Frontenac. De cet observatoire improvisé, on porte un autre regard sur les estampes numériques de Fred Laforge, où des céramiques chinoises fusionnent un vase Ming et une bonbonne de propane, de même que sur la Danse des impuissants de la création (2018) de Pascale Bourguignon, où un tour de potier est relié à une horloge mécanique dans l’esprit Dada. La vue est imprenable et elle met en valeur, aussi, le refus des cultes établis, l’amour de la coïncidence, de la proximité heureuse qui allègent le poids que l’histoire des arts fait porter aux artistes.
La plus heureuse proximité est sans doute celle de Laurent Craste et de Fred Laforge, ces deux artistes passés maîtres dans l’art du décalage qui tempère la gravité par ailleurs nécessaire pour penser les origines tout autant que le pouvoir de destruction du feu. Les sculptures iconoclastes du premier répondent au totem du second et semblent se moquer de lui, parce qu’il est assis sur une colonne grecque. Elles en oublient qu’elles-mêmes furent maltraitées par Craste, déformées, tordues, jetées en tas – insignifiant au premier coup d’œil mais qui fait sens lorsqu’on reconnaît ici un ornement baroque, là le visage du fils Brongniart, sculpté par Jean-Antoine Houdon. Ces sculptures ont néanmoins droit à une mise sous vitrine, de sorte qu’elles sont sacralisées – à quel titre, cependant ? Avec son humour décalé, Laurent Craste repose le défi de la désacralisation de l’œuvre d’art, un défi que l’art a tenté de relever dès le début du XXe siècle avec les ready-mades de Duchamp.
Les œuvres des divers volets de F E U et origines appellent la participation du visiteur requis de s’approcher, d’en faire le tour, de mettre un casque sur les oreilles… Dominic Papillon, avec Humeur acéphale (2018), réalise une sculpture fascinante qu’on rêve de caresser : une masse organique enveloppe un corps humain au point de l’escamoter, de laisser à penser qu’il n’existe plus. S’il n’y avait quelque main, quelque pied qui s’échappe de la masse, on le croirait tout à fait. Il est fortement déconseillé, en revanche, de trop s’approcher de l’installation d’André Fournelle, Et la pierre irradie le feu (2018). Elle trône au centre de la galerie I du CIRCA art actuel. Un socle de pigment volatil de couleur rouge, des pierres de granit dynamitées… et pour les relier, la force imaginative qui nous ramène à l’essentiel : la fougue, le feu, les ailes du désir et la puissance créative dont tout artiste cherche la maîtrise. Mais Fournelle est espiègle, le pigment est volatil comme le serait la cendre sur un vêtement. Vous voilà prévenu(e).
Le corps ouvert, le feu intérieur
Le volet performatif Alors proposé par la commissaire Janick Burn poursuit l’interrogation sur le temps humain. Cet Alors s’alourdit du poids du corps, dans l’incapacité de s’élever sans ailes et prêt à chuter à tout moment. La performance de Sophie Castonguay défait cette tension : le corps ouvert prend conscience de la voix qui le crée. Castonguay ajoute à la commémoration l’ultime lieu qui lui manquait, à savoir la voix humaine dans l’expérience même de la corporéité. Cette voix porte la déchirure, voire la révolte individuelle face au pouvoir politique. À la fois répétition depuis les Grecs et renouvellement à chaque prise de parole, le feu intérieur ne cesse de redire le vivant. Quelle expérience que d’entendre les trois récitants, de les voir déambuler autour de l’installation d’André Fournelle ! Ces corps qui portent la voix comme une lumière, un espoir autour du socle rouge, des pierres calcinées : un cadeau pour les participants !
F E U et origines
Expositions et performances pour les trente ans du CIRCA art actuel. Commissaire principal : André- Louis Paré
Commissaire volet performance : Janick Burn
CIRCA art actuel, Montréal
Du 12 mai au 16 juin 2018
Artistes : Catherine Bolduc, Pascale Bourguignon, Philippe Caron Lefebvre, duo Couturier Lafargue, Laurent Craste, Denise Dumas/Samud Esined, Chantal Durand, André Fournelle, Fred Laforge, Yves Louis-Seize, Dominic Papillon, Bruno Santerre, Éric Sauvé, Catherine Sylvain