Suivant maints autres honneurs, un Prix du Gouverneur général en arts visuels et médiatiques est venu couronner ce printemps la carrière de la peintre Wanda Koop, née à Vancouver en 1951. La Galerie Division, qui la représente, a voulu offrir au public montréalais une rétrospective de son travail en puisant dans son propre fonds, mais aussi en tirant de l’atelier de l’artiste à Winnipeg des œuvres – parfois de grand format – qui n’avaient plus été vues depuis quelque trente ans. Cette exposition s’est étendue jusque dans les bureaux. Spatialement et chronologiquement éclatée, la présentation de la galerie appelait fort bien ainsi les rapprochements transversaux entre différentes périodes de l’évolution de Koop, puisés à même certains motifs récurrents soulignant l’unité de sa recherche.

Le paysage en plein visage

Son essence est résumée par la série View from Here (2015), alignant des têtes androïdes (on songe aux masques de hockey d’une série de 1986) dont les traits émergent d’éléments propres aux paysages canadiens – naturels, industriels ou urbains – qu’elles renferment, telle une vue de Winnipeg, ville où s’enracinent les réflexions d’un McLuhan tout comme celles de nombreux artistes locaux sur l’intrication de la conscience et des médias.1 Ainsi Koop inscrit-elle le sujet dans un environnement qui n’a rien d’un objet extérieur, mais advient à même une présence à la fois située et impersonnelle.

Si la série Face Time (« Interaction en personne », 2013) souligne sa nature technologique par les tubulures et câblages striant de semblables visages, c’est encore une méthode paranoïaque- critique qui mélange les genres dans la série Barcode Faces (2009), où des fragments de codes-barres transforment la toile en visage sur fond de paysage en intégrant certains de ses éléments à l’illusion animiste spontanée du cerveau, personnifiant tout ce à quoi il peut prêter des traits humains dans son environnement naturel ou technique. Nature et technologie sont ainsi constamment ramenées sur le même plan – humain/inhumain – dans l’art de Koop.

La violence est visée dans le cadre qui en fait abstraction

Déjà dans les gouaches de la série Fracture (1984), un puits de pétrole et un avion de brousse étaient tracés à gros traits noirs sur fond d’intenses coloris romantiques, tandis qu’un pistolet était croqué en nature morte avec le feu de sa décharge. Surtout, la série Sightline (« Champ de vision », 2000), plaquant une croix de repérage en travers d’un paysage, rappelle que l’anglais « to shoot » s’applique aussi bien à la prise de vue photographique qu’au tir d’une arme à feu, l‘acte de viser dénotant une violence inhérente à la manière technologique de cadrer l’environnement. C’est elle que banalise la télévision, comme le montre la série Green Zone (2003) sur la base d’images de la guerre d’Irak retransmises à partir de la « zone sécuritaire » d’une armée étrangère jusqu’aux écrans de nos salons traversés de bannières défilantes et de publicités marginales ; une fois gommé leur contenu, ces parallélépipèdes monochromes deviennent, eux aussi, des marqueurs de l’abstraction constitutive des images « en direct » de conflits exotiques, avec leur flou numérique ou leur obscurité infrarouge. Dans la série Satellite Cities (2002-2007), les archipels artificiels d’îlots urbains du golfe Persique, plaqués sur l’étendue plane de la mer ou du désert et conçus pour être vus du haut des airs, sont soumis à une mise à distance qui en révèle l’abstraction, une fois stylisés en entrelacs gestuels sur fond uni.

De l’artifice technique au formalisme plastique

Chez Koop, le troublant continuum entre artifice technique et abstraction plastique dans la construction du sujet et du paysage par la médiation technologique de l’image se reflète aussi dans le contraste des gradations de tons pastel avec des points ou formes géométriques aux teintes fluo. Si des dégoulinures savamment rectilignes viennent ainsi subvertir l’illusion naturaliste de paysages, certes presque classiques, en s’y intégrant avec art dans la nouvelle série In Absentia, les fissures de lumière entre les silhouettes des gratte-ciel de Manhattan transforment les creux architecturaux en lignes pleines de couleur compacte dans des compositions toujours plus minimalistes.

Cette trajectoire de la représentation au formalisme se déploie chronologiquement à l’intérieur de chacune des séries comme entre les points limites de certaines d’entre elles. L’intimidante Baby Face de No Words (1989) affronte ainsi la proclamation post-picturale d’Untitled (In Your Eyes) (1999), dont la bande verticale d’un carmin agressif ressort entre deux autres symétriques en dégradés de bronze, rappelant – en moins léché – Voice of Fire de Barnett Newman, le controversé trésor expressionniste abstrait du Musée des beaux-arts du Canada ; exposée pour la première fois hors du contexte d’origine d’une installation à l’Arsenal de Venise durant la Biennale de 2001, cette grande toile fournit de même l’imposant point focal d’un digne hommage à Wanda Koop à l’Arsenal de Griffintown.

Wanda Koop, Untitled (View from Here Series), 2015, Impression jet d’encre, gouache 101,6 × 144,7 cm

Wanda Koop Peintures + dessins 
Galerie Division, Montréal
Du 19 mars au 30 avril 2016

(1) Voir Christian Roy, « D’ectoplasme en égrégore : Winnipeg, centre occulte de l’art contemporain », Vie des Arts, no 227, été 2012, p. 76-77.