Les images urticantes de Vittorio
En 1951, Vittorio Fiorucci débarque à Halifax. Jeune homme, il vient conquérir l’Amérique. Il ne parle ni l’anglais ni le français, mais rien n’effraie cet Italien de 19 ans au tempérament aventureux. Il gagne Montréal, où il vit de petits métiers. D’abord témoin de la progressive conversion de la ville à la modernité, il devient un acteur de sa métamorphose, il devient Vittorio.
Pour la première fois, une exposition est consacrée à l’ensemble de l’œuvre de l’artiste Vittorio Fiorucci, disparu en 2008. Le Musée McCord présente 71 affiches et 53 documents et objets, livres, magazines et pochettes de disque, appuyés de six installations multimédias, qui embrassent la diversité du talent créateur de Vittorio, affichiste, mais aussi photographe, bédéiste, caricaturiste, éditeur de magazines et illustrateur, avec Montréal pour fil conducteur. Selon Suzanne Sauvage, présidente et chef de la direction du Musée, « il paraissait évident pour le Musée McCord, le musée de l’histoire sociale du Montréal d’hier et d’aujourd’hui, d’organiser cette présentation qui rend hommage à un artiste montréalais de renommée internationale, dont l’œuvre évoque quelques-uns des grands moments d’ébullition de la vie culturelle et sociale de la ville ».
Vittorio s’installe à Montréal. Il se joint très vite aux artistes de l’avant-garde, montréalais et immigrés, qui contribuent à l’épanouissement culturel de la métropole. Il se lie avec Guido Molinari, Jean-Paul Mousseau, Pierre Gauvreau, Armand Vaillancourt et bien d’autres. Il est de tous les événements et, noctambule notoire, de toutes les fêtes. Dès 1953, il produit de courtes bandes dessinées pour des revues et entame avec succès une carrière de photographe, où il met en valeur comédiens et musiciens. La série Un jour on Crescent Street témoigne du brassage multiculturel dans les années 1960-1970.
Conscient de son talent, Vittorio veut se faire connaître. Il crée une affiche fictive pour une imaginaire « Exposition internationale d’art pornographique », qui révèle son style incisif, humoristique, volontiers provocateur et efficace. Il fréquente le milieu du cinéma et réalise, en 1964, l’affiche du film À tout prendre, de Claude Jutra, dans laquelle le noir et le blanc contrastent avec la typographie rouge. Très remarquée, elle lance la carrière d’affichiste de Vittorio. Il délaisse la photographie, mais crée encore des bandes dessinées dont il intègre des personnages dans ses affiches : Victor, le bonhomme vert créé pour le journal Balloune, deviendra plus tard la figure emblématique du Festival Juste pour rire. Sollicité de toutes parts, Vittorio est nommé directeur artistique du Festival international du film de Montréal. Immergé dans le milieu culturel, il en accompagne les développements dans de nombreux secteurs : théâtre, opéra, jazz, musique et danse contemporaine. Il crée des affiches pour des salons, pour de grandes entreprises (Bell, Banque Nationale, Air Canada), pour des institutions, pour soutenir des œuvres humanitaires et pour certaines idées qui flottent dans l’air du temps, sans oublier des affiches fictives qu’il n’hésite pas, au besoin, à placarder. Vers la fin des années 1970, sa renommée dépasse les frontières du Canada. Expositions et distinctions soulignent son talent et son originalité : il gagne, par exemple, le prix Moebius de l’International Advertising Awards, en 1998.
Commissaire invité de l’exposition Montréal dans l’œil de Vittorio, Marc Choko, professeur émérite de l’École de design de l’Université du Québec à Montréal, collectionneur, auteur de plusieurs ouvrages sur l’affiche dont il est l’un des spécialistes les plus éminents, évoque la personnalité et le style de Vittorio : « Farouchement indépendant, anticonformiste et généreux, Vittorio, qui a toujours gardé une part d’enfance en lui, est aussi inclassable. Il est certainement un cas unique et paradoxal dans le paysage de l’affiche au Canada. Car s’il a fait une longue carrière, ses réalisations vont à contre-courant des modes de son époque qui prônent le style international. » Selon lui, l’artiste a vraisemblablement connu l’œuvre de Matisse, de même que la production du designer graphiste américain Saul Bass (1920-1966). En travaillant directement avec ses clients, Vittorio est parvenu à faire ce qu’il voulait, d’où son style percutant. L’affiche est un art de rue, et Vittorio sait aller à l’essentiel pour livrer un message universel, immédiatement compréhensible. Il utilise des couleurs vives et des contrastes marqués, des lignes géométriques, des formes déchirées aux lignes acérées ou, au contraire, des courbes pleines. Il a recours à la sérigraphie et non à la photo, travaille avec d’excellents ateliers et suit chaque étape de la production.
Grâce à son regard et à son style unique, son œuvre traverse le temps sans rien perdre de sa force ni de sa qualité. Mais malgré le succès, Vittorio voulait être perçu comme un créateur et aura toujours eu le sentiment de ne pas avoir obtenu toute la reconnaissance à laquelle il aspirait. Il laisse plus de trois cents affiches, dont plusieurs figurent dans de prestigieuses collections publiques et privées, au Canada et à l’étranger.
Montréal dans l’oeil de Vittorio : 50 ans de vie urbaine et de création graphique
Musée McCord, Montréal
Du 25 septembre 2015 au 10 avril 2016