Les tableaux d’Alexandre Masino ne représentent pas à proprement parler, ils évoquent, ils provoquent une impression.

En 2010, la Maison de la culture Mont-Royal accueillait une exposition intitulée L’anti-sublime dont le commissaire était Rafael Sottolichio. Dans le catalogue qui accompagnait l’exposition, le commissaire fait référence à Kant pour qui « le sublime est ce qui est absolument grand, qui inspire des sentiments d’infini ». Mais ce n’est qu’à l’époque romantique avec William Turner, puis avec Caspar David Friedrich, que « le paysage va devenir grandiose, va devenir sublime. […] Ils placent le paysage en relation à la nature comme force créatrice et destructrice, où la fragilité de l’esprit humain est compensée par la présence en lui de l’Esprit, de Dieu1 ». Plusieurs peintres aujourd’hui se situent dans la lignée de ces grands paysagistes. Toutefois, il s’agit d’une version postmoderne du sublime puisque ces artistes utilisent l’histoire de l’art comme un réservoir d’images et de styles. Or, bien que les paysages peints par Alexandre Masino ne ressemblent en rien par la facture à ceux exécutés par Guy Laramée qui figuraient dans cette exposition, ils se situent également dans un courant romantique postmoderne.

Certes, un spectateur sensible à la matière picturale, frappé par la transparence, la granulosité, les coulures qui rendent la surface des tableaux d’Alexandre Masino particulièrement séduisante, sera sans doute tenté de comparer ses œuvres à celles d’un autre paysagiste, Peter Hoffner. En revanche, c’est bien la même spiritualité qui transparaît dans les paysages d’Alexandre Masino et dans ceux de Guy Laramée. L’un et l’autre peignent des montagnes, quoique de façon aussi différente que possible. Celui-ci reproduit en peinture les photographies qu’il a prises au Tibet, alors que celui-là peint des chaînes montagneuses qu’il est impossible d’identifier. Pourtant, leurs tableaux véhiculent la même conception de la place de l’homme dans la nature. L’artiste peint des idées de sommets enneigés, de hautes vallées entre les parois desquelles on croit parfois distinguer un fleuve qui sinue. D’ailleurs est-ce même de la neige qui apparaît en grosses virgules blanches dans Transfigurations ? C’est surtout une composition qui vise à évoquer la beauté majestueuse de la nature, en suscitant chez le spectateur un sentiment d’admiration et presque d’effroi sacré devant ces lieux où l’homme ne peut pas vivre. Le titre du tableau L’orée du ciel peut donc être pris dans son double sens : au sens propre : la haute chaîne montagneuse est tout près du ciel ; au sens figuré : celui qui la contemple peut dans sa méditation se rapprocher du divin. Plusieurs titres sont si poétiques qu’ils pourraient servir de premier vers pour un haïku, tel Cette marée de pierres où les roches semblent avoir été abandonnées par la mer lorsqu’elle s’est retirée aux temps préhistoriques. Alexandre Masino peint « la montagne », comme Kanawaga représente « la vague » dans la célèbre estampe qui est connue sous ce titre.

Certes, il est possible de voir une allusion aux sommets himalayens dans certains tableaux peints par Alexandre Masino, puisque ces montagnes sont situées effectivement à L’orée du ciel, mais il s’agit surtout de représentations abstraites qui ont valeur de symboles. En revanche, dans d’autres œuvres, l’artiste fait clairement référence au Japon, un pays dans lequel le bouddhisme est la religion officielle. C’est le cas précisément dans le tableau intitulé Poussières d’étoiles (Sakura). Les sakuras sont ces cerisiers (appelés aussi « prunus ») qui se couvrent au printemps d’un nuage de neige rosée que les Japonais vont contempler avec vénération. Les fleurs, dont une partie est tombée, poudrent le sol de leurs pétales d’un rose lumineux. Dans ce triptyque, l’artiste interprète de façon postmoderne Jeu de portes coulissantes « prunier » peint au début du XVIe siècle par Kano Sankaru. Dans Une rosée de lumière, le sakura qui constitue le motif principal au premier plan du tableau est décentré. Ce type de composition est caractéristique de l’art de l’estampe au Japon. Enfin, la spiritualité est encore plus explicite dans Le temple secret, un monotype à l’encaustique sur papier Gampi. Le paysage dans lequel figure le sakura semble vu à travers une arcade, tandis qu’au-dessous, des fruits sont disposés sur un triple autel comme des offrandes.

Dans Le génie du christianisme, Châteaubriand, en préromantique, établit un rapport entre la beauté de l’église gothique et celle de la nature : « Tout retrace les labyrinthes des bois dans l’église gothique, tout en fait sentir la religieuse horreur, les mystères et la divinité2 ». C’est de la même manière que le sublime s’introduit dans la représentation des paysages de hautes montagnes peints par Alexandre Masino. En revanche, la série d’œuvres dans laquelle figurent des sakuras est proche de la spiritualité bouddhiste pour laquelle le divin est présent dans les beautés les plus éphémères de la nature.

Galerie de Bellefeuille, Montréal
Du 20 au 30 octobre 2012