Grâce à la donation Kronberger, les visiteurs du musée des Beaux-Arts de Nice ont eu l’occasion de s’imprégner des beautés de la Côte d’Azur, telles que les ont perçues et reproduites les peintres azuréens au XIXet au début du XXe siècle.

Tout au long de l’exposition, les panneaux informent le public de l’évolution du territoire dans le sud-est de la France : « Cette évocation qui nous paraît naturelle est pourtant le fruit d’une construction sociale […] à laquelle participent les peintres. » Les tableaux de la collection sont autant de témoins d’une période où les villes côtières du comté de Nice (qui devient la Côte d’Azur en 1887) sont fréquentées, surtout durant l’hiver, par des touristes anglais et russes en quête de la douceur de cette région, et cela « sous l’action conjuguée de la bonne société étrangère et locale, du monde des affaires et du milieu artistique ». On amène le visiteur à observer « l’éclat de la couleur [qui] exprime l’éclat de la lumière », que rend possible l’utilisation de l’aquarelle, alors introduite par les hivernants britanniques. Un autre panneau nous indique : « Les contrastes sont plus forts, les rochers plus rouges, la mer plus bleue, les pins plus verts, le sable plus clair. »

La commissaire de l’exposition, Michèle Perez, a tenu à rappeler l’importance d’un établissement littéraire fédérateur de Nice. Ainsi la libraire Visconti est-elle évoquée dans la scénographie par une photo tapissée sur un mur et par du mobilier d’époque. Créée en 1839, elle a joué un rôle prépondérant dans l’essor culturel de la ville : « Pendant plusieurs années, elle sera un lieu incontournable d’exposition des peintres paysagistes locaux comme nationaux. » L’accrochage judicieux des tableaux rend hommage aux artistes qui ont démontré leur intérêt et leur affection pour le paysage, le sujet principal de chaque œuvre. « Les peintres sont autant de découvreurs et d’inventeurs du paysage […] à la recherche des plus beaux panoramas et du point de vue pittoresque. »

Angelo Garino Vue de Nice (1901)
Aquarelle, 30 x 71 cm
© Musée des Beaux-Arts Jules Chéret
Photo : Elodie Albrand

Bien que le corpus complet eût mérité une attention particulière, nous en retenons ici trois œuvres pour discussion. Vue de Nice (1901), d’Angelo Garino, pourrait se fondre dans le reste de la collection tant il en représente bien le thème. Mais le tableau interpelle le visiteur en raison de la qualité de sa représentation du paysage et du jeu d’équilibre entre les formes et les couleurs. 

La vue dépeinte dans Vue de Saint-Hospice (1903) par Maurice Bompard traduit pour sa part une sérénité émouvante. C’est la sobriété de ce tableau qui attire le regard. Très peu d’élé­ments le composent : des fleurs sauvages, deux cyprès, quelques stèles dans un coin de cimetière, la mer bleue et rose, les falaises d’Èze et un ciel opalin. La lumière donne tout son éclat aux couleurs et aux formes – elle est à cet égard unique.

Le style du tableau d’Adelin-Charles Morel De Tangry, Cagnes-sur-Mer (non daté), intègre quant à lui l’influence de l’impressionnisme et de l’Art nouveau. Encadrée par des arbres envoûtants et une végétation florissante, précédée par des toits orangés illustrant la vitalité de la région et esquissée en monochrome gris, la commune de Cagnes-sur-Mer se détache du reste du paysage dans un ciel lumineux. C’est d’ailleurs ce même artiste qui réalisera les premières affiches touristiques de la Côte d’Azur pour la promotion des chemins de fer Paris- Lyon-Méditerranée.

Cette donation exceptionnelle de 169 œuvres a été collectionnée pendant 33 ans par monsieur Karlheinz Kronberger selon des critères spécifiques : des artistes, amateurs comme professionnels, locaux ou nationaux, qui ont peint la Côte d’Azur entre 1850 et 1930.

Les visiteurs ont été saisis par la qualité des œuvres1, tout comme l’avaient été un an plus tôt la directrice du musée, Johanne Lindskog, et la commissaire Michèle Perez. L’enthousiasme suscité par cette donation a engendré deux projets : une exposition d’une artiste invitée et une journée d’étude.

Ainsi, l’artiste niçoise Françoise Cousin- Davallon a jeté un regard contemporain sur le paysage de la Côte d’Azur en présentant une dizaine de tableaux. Dans En descendant vers la mer (2019), elle réalise, avec un geste assuré et des couleurs franches, une très belle synthèse des éléments essentiels de la Côte d’Azur, dont la mer d’un bleu profond s’impose dans la composition.

Quant à la journée d’étude du 11 octobre dernier, celle-ci réunissait des chercheurs et des conservateurs autour du « paysage azuréen, une construction moderne ». Il en ressort que cette exposition permet entre autres la comparaison du paysage de la Côte d’Azur du début du XXe siècle à celui d’aujourd’hui. Pour Jean Davallon2, organisateur de ce colloque : « Les peintres ont démontré comment le paysage devient patrimoine. Il nous revient de bien définir les modalités de la sauvegarde du patrimoine, pour la suite. »

Françoise Cousin-Davallon, En descendant vers la mer (2019)
Acrylique sur toile, 91 x 73 cm

Donation exceptionnelle

Cette donation exceptionnelle de 169 œuvres a été collectionnée pendant 33 ans par monsieur Karlheinz Kronberger selon des critères spécifiques : des artistes, amateurs comme professionnels, locaux ou nationaux, qui ont peint la Côte d’Azur entre 1850 et 1930.

Citoyen autrichien et résident américain, Monsieur Karlheinz Kronberger partage sa vie entre Philadelphie, Vienne et Nice. Ingénieur-chimiste, il fait ses études à Vienne et obtient un doctorat de l’Université du Nebraska. Il est alors embauché par une grande compagnie à Philadelphie (1968-2000) qui, en 1982, lui propose un séjour de travail de trois ans à la technopole Sophia Antipolis, sur les hauteurs d’Antibes. Monsieur Kronberger, déjà mélomane et amateur de théâtre, découvre les paysages de la Côte d’Azur. De retour aux États-Unis, il décide d’acheter un appartement de style Beaux-Arts (1880) à Nice et, pour respecter l’architecture du lieu, fait l’acquisition de quelques tableaux d’artistes de cette époque, les premiers de sa collection. Puis, il se laisse prendre au jeu : « J’ai commencé à étudier les peintres de la région de Nice et des alentours. J’étais fasciné par leurs représentations du paysage et, très rapidement, j’ai voulu collectionner leurs œuvres3. » Il se documente, avec passion : livres, encans, antiquités et galeries. « Ma conception du collectionnement, dit-il, repose sur la constance. Je me concentre sur des thèmes précis, par exemple les bronzes français du XIXe siècle, ou les peintres de la Côte d’Azur entre 1850 et 1930. Toutes les œuvres de ma collection se doivent de respecter ces limites, ces catégories. » Soucieux de la sauvegarde de sa collection, il a cette réflexion : « Il aurait été impensable que ces œuvres, après ma mort, soient vendues une par une, séparément. Je souhaitais que l’intégrité de cette collection demeure, et c’est pour cela que j’ai voulu en faire don au Musée. »

Monsieur Kronberger a également fait, en janvier 2019, une donation de peintures au musée de Klosterneuburg, en Autriche, et de plusieurs bronzes au Musée des beaux-arts de Philadelphie.

(1) Je tiens à remercier Madame Claudette Gasiglia, grande amie du collectionneur, qui m’a accordée un entretien téléphonique pour discuter de la donation.

(2) Professeur émérite de l’Université d’Avignon.

(3) Les citations de M. Kronberger, recueillies lors d’un entretien, ont été traduites de l’anglais.

La donation Kronberger : une invention du paysage azuréen au XIXe siècle
Commissaire : Michèle Perez
Musée des Beaux-Arts Jules Chéret de Nice
Du 28 juin au 3novembre 2019