L’exposition John Lyman : esquisses des années 1910, 20 et 30 nous plonge au cœur de l’attachement de ce « gentleman peintre » pour le monde visible où, comme devant la plage de Saint-Jean-de-Luz, il lui est arrivé d’être totalement heureux. Constituées principalement de compositions sur papier, la vingtaine d’œuvres accrochées à la Galerie Jean-Pierre Valentin proviennent de la collection d’un amateur montréalais qui se signale par son flair.

Posées sur un livre, les lunettes rondes en écaille du jeune John Lyman (1886-1967) laissent passer une manière bien à soi d’appréhender le spectacle de la vie. Cette nature morte à l’aquarelle ouvre l’exposition.

Des croquis d’odalisques en costumes tunisiens évoquent les longs séjours des Lyman à Hammamet à partir de 1919. Lyman reprend aussi à Paris, à la fin des années 1920, ce thème. Il dessine alors des nus masculins, athlètes ou forains, et des nus féminins sensuels, dans des postures parfois osées. Rendue par des tons à la fois pastel et nacrés qui le caractérise, une pochade en couleur enchevêtre des branches anguleuses sur le tronc noueux d’un arbre. Dans une vue également en couleur s’alignent les troncs d’une pinède de Cagnes-sur-Mer. Lyman y achète, en 1922, la Villa Blanche. Là, comme aux Antilles et en Tunisie, Lyman subit l’éblouis­sement de la lumière du Sud.

Documentant avec précision les travaux préalables à certaines huiles, le dessin chez Lyman se concentre souvent sur son rôle préparatoire.

Paysages

Le panorama architecturé de Vence à la mine de plomb reprend exactement la même disposition que celle d’une huile sur panneau de 1924-1925 de la collection McMichael. Les figures traitées en hachures à la mine de plomb annoncent les peintures de la série La plage à Saint-Jean- de-Luz en 1925. Quasi fauves, les études de baigneuses entremêlent les corps peints avec violence de rouge, de carmin, de rose appuyé. Source ou inspiration ? Lyman décrit dans sa correspondance, en 1909, le choc de sa visite à l’atelier de Matisse à Issy-les-Moulineaux. Matisse lui aurait déclaré que la couleur des personnages de La Danse lui a été inspirée par la peau si éclatante et lumineuse d’un des modèles. Lyman voit son premier Matisse chez Gertrude et Léo Stein. L’année suivante, il s’inscrit à ses cours.

À la suite d’une première exposition, en 1913, au Musée des beaux-arts à Montréal qui fait scandale, Lyman décide de prendre Paris pour port d’attache. Là, entre 1913 à 1931, il a comme amis James Wilson Morrice et James Joyce. Son retour fait souffler un vent nouveau. Loin de tout régionalisme, comme critique d’art et à la tête de la Société d’art contemporain, ce grand passeur tente de « déprovincialiser » l’art québécois et canadien.

En couleur, les rives animées du lac Massawippi ou les pontons de bois du Yatch Club de North Hatley au fusain cadrent des scènes de régates. Avec ces voiliers en arrière-plan, le sujet revient à plusieurs reprises, autant en peinture que dans ses esquisses, notamment dans une œuvre intitulée En attendant le vent (1955). Comme souvent chez Lyman, l’action semble imminente. Sur un papier grand format, un hydravion biplan, typique des années 1920-1930, ancré dans une baie sablonneuse, se fait invitation au voyage.

Modèles vivants

Lyman repère et choisit par le dessin les angles d’attaque à privilégier dans sa peinture. Scrutateur ou méditatif, il lui arrive aussi de pratiquer le dessin comme moyen d’expression distinct. Rarement datées, ses esquisses reprennent quelquefois les mêmes thèmes ou sujets qui réapparaissent au fil des ans. À côté de certains dessins avant peinture, quelquefois annotés avec rappels écrits de couleur, tout au long de sa vie, Lyman puise ainsi idées et solutions, une manière de traiter, par exemple, le modèle vivant ou le thème des baigneuses, amalgamant une même pose à d’autres contextes et certaines de ses trouvailles à plusieurs tableaux, et ce, parfois à des dizaines d’années d’intervalle.

Sur les traces de Matisse, ses dessins montrent autant les contours que l’espace. La mise en place s’appuie sur les quatre côtés de la feuille. Le volume s’ajuste à la surface. Les blancs aussi participent à la composition. Les rapports entre formes, contours et espaces sont complexes. Il émane de cet équilibre une impression de calme et de ressourcement. Matisse, mais aussi Morrice, Whistler et Cézanne ? Certains y verront des influences, d’autres une façon de se relier à une famille de pensée. « Un peintre n’a qu’un problème, écrit Lyman en 1946. Être lui-même. »

Mâtiné de fauvisme et de cubisme analytique, en partie lié au renouveau figuratif des années 1930 qu’il devance, l’art de Lyman témoigne aussi de l’hédonisme de la peinture française de l’entre-deux-guerres. Ses dessins affichent à la fois réserve et sensualité. Célébrant comme naturelle une forme d’érotisme, les corps se libèrent. Les paysages intemporels s’opposent à des marqueurs plus contemporains attachés aux effets de l’industrialisation. En bon moderniste, Lyman insiste sur les éléments de composition et la primauté de la couleur et du langage pictural au détriment de tout message jugé « littéraire ». Sans l’avouer cependant, il tente également de traduire une réalité plus intérieure où l’on pressent un peu de ce qu’il est, de ce qu’il perçoit de sa présence au monde. En ce sens, son art ne va pas sans non-dits et une part de distance. « Paradoxe vi­vant », selon Paul Dumas, Lyman reste difficile à cerner.

Communiquant la passion d’un artiste pour le dessin – phénomène plutôt exceptionnel dans l’art canadien –, l’exposition prend ainsi l’allure d’un journal de bord, parfois silencieux, et d’un trop rare témoignage sur la figure de proue qu’est « Mister » Lyman.


JOHN GOODWIN LYMAN – ESQUISSES DES ANNÉES 1910, 20 ET 30
Galerie Valentin
1490, rue Sherbrooke Ouest, Montréal
Tél. : 514 939-0500
www.galerievalentin.com
Du 10 au 24 avril 2012