Rares sont les artistes qui choisissent le crayon de couleur comme médium principal, voire unique. L’utilisation d’un support assez banal, comme le papier Kraft, caractérise aussi la démarche unique de Louisa Nicol tout comme le marouflage sur toile de ses dessins grand format. La rétrospective présentée au Centre d’exposition d’Amos résume cinquante années de création et révèle la détermination, l’audace et la créativité dont Louisa Nicol a su faire preuve pour mener à bien sa carrière, selon un cheminement singulier. L’exposition intitulée Signé Louisa Nicol fait le récit d’une aventure de création authentique fondée principalement sur la pratique assidue du dessin.

Artiste et pédagogue, Louisa Nicol peut certes expliquer les règles de la perspective euclidienne. Elle connait la formule à suivre pour préparer une encaustique de qualité. Elle maîtrise parfaitement les proportions du corps humain et celles des chevaux, même en mouvement. Prolifique, cette femme produit une diversité d’images exploitant une forme très simple : la ligne.

Parfois continue, épurée et expressive, définissant avec précision des contours, parfois accumulée répétitivement et couvrant de larges zones, en hachures modulées selon les nombreuses nuances d’une palette riche, la ligne, dont Louisa Nicol est une véritable virtuose, domine son œuvre.

Les premières compositions exposées rappellent que l’artiste a été initiée au dessin par son père, dès son jeune âge. Ce fait anodin témoigne toutefois de l’intérêt qu’elle a porté à cette activité la conduisant à développer ses habiletés de façon exceptionnelle.

Nous ne sommes pas les derniers…

La diversité du métier

La ligne du temps tracée par la mise en espace des objets dans la salle d’exposition raconte plusieurs anecdotes qui ont ponctué la vie de l’artiste. Son expulsion de l’atelier qu’elle a fréquenté dans un pensionnat, au début de sa formation, en est un exemple. Le motif paraît banal aujourd’hui : l’artiste, encore jeune, a peint un Christ en croix, complètement nu. Le fait, s’étant produit dans un atelier dirigé par des religieuses, prouve l’audace de Louisa Nicol et son engagement indéfectible en faveur de la liberté d’expression. Après cet événement, qui aurait été un frein pour d’autres qu’elle, la réaction de cette fonceuse a été d’ouvrir sa propre galerie d’art ! Se rappeler qu’à ce moment-là elle n’a même pas vingt ans permet de mieux saisir l’audace et la capacité de résilience qui lui ont été indispensables pour s’insérer durablement dans le domaine des arts.

Parmi les nombreux documents présentés dans l’exposition, ceux qui rendent compte de l’époque où elle a occupé un poste de graphiste à Radio-Canada, dès sa sortie de l’École des Beaux-arts de Québec, éclairent le visiteur sur plusieurs aspects de ce métier disparu. Pendant cette période qui s’étend de 1983 à 1997, la production de l’artiste répond aux exigences des projets que la société d’État lui confie. Des toiles, des aquarelles, des éléments de décors, des maquettes, des enregistrements témoignent néanmoins de sa polyvalence.

La rétrospective Signé Louisa Nicol rappelle aussi la diversité des rôles que l’artiste a joués dans son milieu, explorant tous les aspects du métier. Tour à tour illustratrice pour des maisons d’édition, dessinatrice lors de procès, instigatrice de projets d’expositions, pour elle, créer ne se limite pas aux arts plastiques, il s’agit d’une manière d’être. Elle déploie cette habileté à rendre visible, à faire exister ce qui n’était pas, bien au-delà du support papier. Avec une vitalité débordante, elle crée aussi dans sa communauté, dans la société, ouvrant des ateliers de croquis, des salles de diffusion (Ars Linga, Rosa Bonheur, etc.), une école d’art … un marché public ! Pourquoi pas ?

Dans les années 80, Louisa Nicol commence à réaliser les dessins grand format avec des crayons de couleur sur papier Kraft qui sont devenus caractéristiques de sa démarche jusqu’à main­tenant et en sont la véritable signature. Dans les séries hommages aux grands maîtres, à Van Gogh par exemple, la juxtaposition et la superposition des hachures de couleurs différentes créent des effets optiques et volumétriques très riches. La précision des formes et la finesse de l’exécution y sont remarquables.

Parmi les œuvres présentées, le tableau tiré de sa célèbre série des chevaux est particulièrement expressif. Faisant face à la porte par laquelle les visiteurs accèdent à la salle, il représente un animal fougueux, dynamique, imposant par ses dimensions et qui semble s’élancer vers eux.

La présentation des livres d’artistes est remarquable. L’agencement rigoureux d’une sélection de ses carnets, évocatrice des propositions minimalistes, cède toute la place aux dessins. Le nombre de cahiers, la qualité des images qu’ils contiennent, la grande simplicité de ces compositions, la précision de leur exécution, presqu’incisive, la pureté des lignes continues, toujours fluides, parfaitement expressives, attestent un contrôle exemplaire du geste et de la technique du dessin.

Trait après trait

Évidemment, le savoir-faire exceptionnellement démontré pourrait être méprisé par les détracteurs de la rigueur ou par les personnes qui choisiraient de s’arrêter à un certain académisme apparent. Ce serait en ignorer inopportunément la démesure formelle. Les innombrables traits et les accumulations de hachures sont l’expression d’une présence authentique, la représentation d’une perception unique du monde. Le patient et excessif acharnement de la ligne fait de la démarche de Louisa Nicol une interprétation personnelle du monde physique campée dans l’indéniable, l’imperturbable, mais toujours actuel domaine du beau.

Louisa Nicol est engagée dans sa communauté. Qu’il s’agisse de son village, son quartier, son milieu de travail, son école, elle innove, entreprend, instigue… et tient bon. Éminemment fidèle au milieu duquel elle est issue, assumant pleinement ses racines, elle canalise une énergie phénoménale dans la création par des gestes répétés, insistants, persistants jusqu’à la démesure.

Témoignant de l’envergure de l’œuvre et de l’ampleur de l’entreprise voulant en rendre compte, la conservatrice de l’exposition et directrice du Centre d’exposition d’Amos, Marianne Trudel, exprimait un regret, celui de ne pas avoir dédié toutes ses salles à ce projet de rétrospective. Considérant son origine, l’Abitibi, on pourrait dire de Louisa Nicol qu’elle a émergé du désert ! À une époque et dans un contexte culturel n’offrant pas les conditions favorables à l’émergence d’une femme, elle a fait sien le métier d’artiste, choisissant de surcroît de faire du dessin son gagne-pain, et ce, pour toute sa vie.

Depuis plus de cinquante ans, telle une géante issue du néant, Louisa Nicol a construit, trait après trait, une œuvre imposante dont la portée dépasse largement les frontières régionales et qui s’inscrit pleinement dans le monde des arts.


Signé Louisa Nicol
Centre d’exposition d’Amos
Du 22 juin au 27 août 2017