Marcelle Ferron – Splendeur du geste
René Viau, commissaire de l’exposition des peintures de Marcelle Ferron Méfie-toi du blanc,a isolé un moment de l’évolution de l’artiste sur lequel il jette un regard inédit qu’illustrent les quelque 150 toiles qu’il a sélectionnées et accrochées au Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul (MACBSP).
Au cours de la vingtaine d’années qu’elle a passé en France, Marcelle Ferron a notamment entrepris une étude poussée des techniques du verre. Elle était animée par le désir de réaliser un jour des fresques destinées à rehausser de grands espaces publics. C’est précisément ce qu’elle a réussi à faire, comme en témoignent les verrières de la station de métro Champ-de-Mars à Montréal, celles des palais de justice à Granby et à Amos, de l’Hôpital Pierre Boucher à Longueuil ou de l’Église du Sacré-Cœur à Québec. Son apprentissage auprès des spécialistes et ingénieurs de la célèbre usine de verre Saint-Gobain avait porté fruit.
La construction de ses murales de verre l’avait obligée à négliger la peinture.
Retour à la peinture
Elle s’y remet, en 1973, et peint Méfie-toi du blanc. Avec cette toile, elle rompt d’emblée avec le style qui avait jusque-là assuré son succès consacré, en 1961, à la Biennale de Sao Paulo où l’œuvre qu’elle y avait présenté obtint la Médaille d’argent. Son style, alors fondé sur l’utilisation de grandes spatules qui lui permettaient d’étaler la couleur sur la surface avec une incroyable vigueur, reflétait pour l’artiste une période révolue. Elle entreprit de se renouveler. C’est parmi les tableaux produits au cours de cette phase de renouvellement, dont le point de départ est la toile Méfie-toi du blanc, que René Viau a effectué ses choix.
Si jusqu’alors le blanc permettait sans peine à Marcelle Ferron de ménager des espaces où la lumière faisait ressortir puissamment les couleurs, le recours à cette couleur, en 1973, ne lui semble plus nécessaire. D’autant moins qu’elle réalise désormais des tableaux dont la plus grande dimension dépasse rarement le mètre cinquante. De surcroît, les formats diffèrent au gré de ses fantaisies : carrés, cadrages verticaux ou horizontaux étroits, ovales. Naturellement, la longue expérience d’une peinture expressive continue toujours à se déployer, mais dès lors au gré de gestes courts ; ils sont toujours aussi efficaces, guidés par une force qui harmonise les compositions.
Au cours de cette période, Marcelle Ferron se livre aussi parfois à de véritables écritures tracées à l’encre noire ; ses calligraphies chinoises traduisent un envol aussi libre que le geste du penseur oriental survolant comme à tire-d’aile les surfaces grattées, aires d’accueil idéales pour le mouvement du pinceau décelable, par exemple, dans la toile À la mémoire d’Épi (nom du chien de la maisonnée Ferron).
On retrouve tout de même un peu la touche des anciens tableaux où s’exprime sans détour une virilité artistique, reflet de l’originalité de la nature de l’artiste qui attaque ici à armes égales un univers d’hommes, tout en gardant des subtilités féminines marquées au sceau de la finesse.
« L’idée de l’exposition, explique le commissaire, a été de composer un corpus d’œuvres pour lesquelles Marcelle Ferron a voulu aller soudain à l’encontre de ce qu’elle avait fait jusqu’alors. Elle était désireuse de ne pas se trouver prisonnière de l’image qui lui avait été accolée, rejetant sans états d’âme ses propres codes. »
Une évolution passée inaperçue
Le tempérament fougueux qui marquait ses œuvres « parisiennes » est resté identique, mais la façon de le manifester est devenue moins tonitruante. Au fil des ans, la fatigue causée par la maladie oblige l’artiste à modérer son ardeur ; elle trouve des compensations en limitant l’ampleur du geste tout en préservant le sens et l’impact de son expressivité, c’est-à-dire la prise de possession sans concession de l’espace pictural. Si le maniement de la spatule est plus restreint qu’au cours de la grande époque lyrique, il n’en est pas moins nerveux, spontané et vibrant.
Encouragé par les héritières de Marcelle Ferron, ses trois filles, Danielle, Diane et Babalou et par Simon Blais, son galeriste et représentant, René Viau a bien adhéré à la perspective de dégager au sein des œuvres de Marcelle Ferron postérieures à 1973 une signification laissée jusqu’ici dans la pénombre ou bien noyée dans des manifestations plus globales, où l’évolution du style de l’artiste est passée inaperçue.
René Viau justifie la nécessité d’un éclairage nouveau. « L’idée de l’exposition, explique-t-il, a été de composer un corpus d’œuvres pour lesquelles Marcelle Ferron a voulu aller soudain à l’encontre de ce qu’elle avait fait jusqu’alors. Elle était désireuse de ne pas se trouver prisonnière de l’image qui lui avait été accolée, rejetant sans états d’âme ses propres codes. »
Le résultat est magnifique. À titre de comparaison, l’exposition Méfie-toi du blanc se situe au même niveau que celle de la confrontation Riopelle-Mitchell au Musée national des beaux-arts du Québec. Cohérence, rigueur, émotion sont au rendez-vous. À ne pas manquer.
Les choix du MACBSP
Avec Méfie-toi du blanc, en hommage à Marcelle Ferron, Jacques Saint-Gelais Tremblay, le directeur du Musée d’art contemporain de Baie- Saint-Paul, poursuit un projet qui consiste à éclairer la portée du mouvement automatiste si déterminant dans l’histoire de l’art et dans l’histoire sociale et politique du Québec. Il procède en mettant en vedette, grâce à des expositions de leurs œuvres, les artistes majeurs du mouvement dont les créations et les idées ont servi de ferments à la Révolution tranquille au cours des années 60. Cette orientation muséale a été amorcée en 2017 avec une exposition consacrée aux œuvres de Françoise Sullivan. Elle se poursuivra avec une exposition centrée sur Paul-Émile Borduas, auteur principal du manifeste Refus global lancé le 9 août 1948, il y a soixante-dix ans.
Catalogue
Un catalogue accompagne l’exposition de Marcelle Ferron Méfie-toi du blanc. Il comprend une introduction du galeriste et éditeur Simon Blais qui rappelle que les œuvres sélectionnées se rapportent à la période qui s’étend de 1973 à la fin de la vie de l’artiste en 2001. René Viau, le commissaire
de l’exposition, prête à Marcelle Ferron la question suivante : « Comment transporter la lumière à travers une gamme subtile de noirs ? » La réponse est contenue dans l’éloquence des quelque 150 peintures qu’il a sélectionnées, dont 42 sont reproduites dans le catalogue qui s’achève avec des notes biographiques sur l’artiste.
Méfie-toi du blanc
Commissaire : René Viau
Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul
Du 25 novembre 2017 au 10 juin 2018