Marcelle Ferron : une femme éprise de liberté
En cette année 2008, les occasions sont multiples pour rendre hommage à Marcelle Ferron, cette grande artiste québécoise. En effet, 2008 marque le 60e anniversaire de la parution du manifeste Refus global et le 40e anniversaire de la réalisation de son œuvre phare d’art public : la grande verrière du métro Champs-de-Mars. S’ajoute le 25e anniversaire du prix Paul-Émile-Borduas, la plus haute distinction attribuée par le gouvernement du Québec à un artiste du domaine des arts visuels : Marcelle Ferron a été la première femme à recevoir ce prix, sept ans après son décès en 2001, la Galerie Simon Blais présente une exposition rétrospective de l’artiste à partir des œuvres de la Succession Marcelle Ferron. Une imposante monographie accompagne l’événement. Un moment choisi pour redécouvrir la trajectoire d’une artiste exceptionnelle.
La carrière de Marcelle Ferron s’étend sur plus de cinq décennies. La personnalité dépasse parfois l’envergure strictement artistique de son œuvre. Femme engagée bien sûr, de santé fragile, elle a sans cesse déployé une énergie hors du commun pour la défense de causes sociales et pour l’affirmation de valeurs humanistes et égalitaires. Complètement habitée par l’acte de créer, elle réussira comme le note l’historienne de l’art Louise Vigneault « à imposer une activité artistique inédite, basée à la fois sur la résistance et l’enracinement1». Très tôt, Marcelle Ferron adhère aux idées progressistes et transgresse les normes conservatrices du duplessisme. Elle s’affirme comme une femme éprise de liberté et choisit l’exil afin de mieux risquer l’aventure d’une carrière artistique viable. En 1953, elle part seule en France avec ses trois filles. À Paris, elle fréquente l’entourage de Jean-Paul Riopelle et trouve des appuis importants dont celui de l’historienne de l’art allemande Herta Wescher. En 1955, cette dernière organise sa première exposition de groupe en Allemagne au Saarland Museum de Sarrebuck et, plus tard, sa première exposition solo à Munich.
Entre 1953 et 1966, Marcelle Ferron participe en France à de multiples expositions de groupe notamment à la Galerie Creuze, Cimaise, Arditti et Prisme, ainsi qu’aux grands salons d’art contemporain du Musée d’art moderne de Paris : Les Surindépendants, Comparaisons et Réalités Nouvelles. Ses œuvres voyagent et sont présentées en Angleterre, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie. En France, elle s’initie à la gravure et au verre avec le maître verrier Michel Blum.
Tiraillée entre la poursuite d’une carrière internationale en Europe et un retour éventuel au Québec, elle décide, en 1966, de revenir définitivement à Montréal et de se consacrer exclusivement au travail du verre.
L’esthétique de Marcelle Ferron
Forte de ses apprentissages en sol étranger et du contexte favorable de la
Révolution tranquille au Québec, sa carrière prendra un envol remarqué. C’est à ce moment qu’elle contribue au développement de l’art public et qu’elle produit les verrières monumentales des stations de métro Champ-de-Mars et Vendôme, à Montréal, de la Place du Portage, à Gatineau, et du Palais de justice, à Granby. En 1970, le Musée d’art contemporain de Montréal lui consacre une première rétrospective et, la même année, elle représente le Canada à l’Exposition universelle d’Osaka au Japon. En 1973, elle effectue un retour à la peinture.
Si Marcelle Ferron est restée fidèle aux principes de l’automatisme en peinture, son esthétique n’est point monolithique pour autant. Dans la monographie publiée par la Galerie Simon Biais, Robert Enright retrace certaines étapes de la démarche esthétique de l’artiste. Dans ses œuvres de jeunesse, Tristesse d’un soir (1945), La souffrance et la joie (1947) et dans une huile sans titre de 1947, l’auteur constate son goût pour un romantisme mélancolique européen tel que le défendent des peintres tels Emil Nolde et Odilon Redon. Dans son analyse du tableau L’Éros et la joie (1953), Robert Enright souligne que les traces de la douleur et de la dramatisation ont disparu. On y trouve une facture vive, un kaléidoscope d’éclats minéraux. L’autre caractéristique que relève Enright tient à la tendance intuitive pour la structure dont fait preuve l’artiste plutôt que pour le geste. Le critique d’art précise que toutes les taches sur les toiles de Ferron concourent à la formation d’un sens qui se révèle pendant qu’elle peint et se réalise en tant que structure. En ce sens, ses œuvres des années 50 se distinguent de celles de Riopelle, car sur le plan de la composition, elles sont tout le contraire de l’enchevêtrement2.
Le conservateur Réal Lussier, pour sa part, note que le début des années 60 marque une nouvelle phase de l’artiste. Elle s’approprie des formats de plus en plus grands et s’engage dans une écriture picturale où le geste prend de plus en plus d’ampleur. Ses tableaux sont construits avec de larges coups de spatule dans une pâte épaisse. La couleur matière se transforme en couleur-lumière magnifiée par la pureté des blancs. Dans le but de donner plus de puissance au geste, Marcelle Ferron développe ses propres outils en créant de longs couteaux qui lui permettent de traiter la pâte en des plans colorés. Les tracés s’élargissent et s’amplifient reposant sur un jeu complexe de plans dans une facture dynamique1.
Si Marcelle Ferron est restée fidèle aux principes de l’automatisme en peinture, son esthétique n’est point monolithique pour autant.
Un art de recherche
Au milieu des années 60, l’artiste délaisse les tracés de spatule pour une peinture plus diluée, plus organique. Réal Lussier explique qu’on y retrouve encore l’expressivité du geste mais que la facture générale se fait plus tachiste et plus contrastée. Dans la décennie 70, les œuvres de Ferron sont également contrastées de larges champs colorés mais quasi monochromes. Par la suite, les œuvres empruntent à la calligraphie où l’élément graphique occupera l’avant-plan en devenant le principe structurant de la composition.
Le graphisme exécuté en noir, souvent d’influence orientaliste, deviendra l’un des traits distinctifs de nombreuses œuvres réalisées durant les années 80 tout comme l’utilisation du format vertical. Ce format très étroit se présente comme un miroir pour l’artiste. Réal Lussier conclut que Marcelle Ferron n’a jamais cessé de se réinventer avec une extraordinaire vitalité.
Dans un autre ordre d’idées, il est possible d’affirmer que Marcelle Ferron a aussi laissé un héritage aux artistes plus jeunes. Selon Josée Drouin-Brisebois, les pratiques des artistes tels Nicolas Baier, François Laçasse, Pierre Dorion, Stéphane Larue, Martin Bourdeau et Alexandre David « démontrent à quel point le langage abstrait est toujours présent au Québec malgré le fait que les stratégies adoptées soient différentes4 ». Elle poursuit : « on peut constater que l’esprit novateur de Marcelle Ferron et de ses contemporains, a su inspirer une panoplie d’artistes à produire un art de recherche, à continuer d’explorer les caractéristiques de la peinture elle-même, sa matérialité, son support, sa conception, ses couleurs, à utiliser les nouvelles technologies et à forger de nouveaux liens entre les disciplines5 ». Pour terminer, je crois que le titre du texte de présentation de Simon Biais est tout à fait approprié pour qualifier l’exposition et le catalogue, à savoir que l’on doit à cette artiste de grande stature un hommage et un devoir de mémoire. En ce sens, l’inauguration de la Place Marcelle-Ferron à Outremont, le 27 septembre 2008, représentera une initiative de première importance.
(1) Citée par Josée Drouin-Brisebois, Marcelle Ferron. monographie, Éditions Simon Biais, Montréal 2008, p. 37.
(2) Robert Enright, L’art de structurer l’intimité, in Marcelle Ferron. monographie, Éditions Simon Biais, Montréal, 2008, p. 11.
(3) Réal Lussier, Marcelle Ferron et l’automatisme, in Marcelle Ferron. monographie, Éditions Simon Biais, Montréal, 2008, p. 19.
(4) Josée Drouin-Brisebois, L’héritage de Marcelle Ferron in Marcelle Ferron. monographie, Éditions Simon Biais, Montréal, 2008, p. 40.
(5) Idem, p. 40.
Marcelle Ferron : rétrospective 1947-1999
Galerie Simon Blais, Montréal
Du 7 mai au 28 juin 2008