« Le bleu est le dernier voile matériel avant le vide.1 » – Nicole Everaert-Desmedt

L’exposition Mesures d’austérité de Michael A. Robinson était notamment composée de deux sculptures installatives. L’une était constituée de trois aquariums remplis de Windex et imbriqués les uns dans les autres ; l’autre, de deux haut-parleurs émettant des sons distincts face à un dessin mural : des cercles concentriques bleus. Jusqu’ici, Michael A. Robinson avait toujours restreint sa palette pour privilégier la forme et la matérialité de ses œuvres. Pour la première fois, l’artiste a choisi d’intégrer de la couleur. Une couleur discrète et froide. Un bleu qui rappellerait à la fois la douce mélancolie des toiles de Picasso et la portée sublime des œuvres d’Yves Klein. Un aller-retour entre la sensibilité et l’immatérialité.

Dans la première œuvre, le geste est simple. Le mode opératoire est clairement explicite : les bouteilles de Windex vides gisent au sol à côté des aquariums. Apparenté à celui du Ready made, le procédé conditionne la création de l’œuvre d’art. L’artiste présente d’ailleurs les aquariums sur un socle, selon un dispositif muséal. Or, par cette composition, c’est l’image de l’atelier d’un peintre qui est évoquée, puisque les contenants rappellent des tubes de peinture. Comme par enchantement. Michael A. Robinson semble ainsi vouloir montrer la simplicité de la création d’une œuvre. Celle-ci tire parfois son origine de gestes et de décisions modestes, au semblant dérisoires. Ici, le solvant, qui dans son contexte premier était considéré comme un liquide banal sinon repoussant, est perçu pour sa beauté intrinsèque. Le bleu transparent devient objet de contemplation. L’artiste joue donc des contraires : entre la ré­pulsion et l’attraction, entre la ba­nalisation et la sublimation.

Le transfert du liquide nettoyant est un moyen pour Michael A. Robinson d’aborder l’idée proprement artistique de recontextualisation. De façon plus discrète, cette idée se concrétise également par l’emboîtement des aquariums. Car l’artiste procède à une mise en abyme, où chaque aquarium participe à modifier le discours de l’autre, comme une œuvre qui en avalerait une autre, et cela à l’infini. Par cet enchâssement mimétique, Michael A. Robinson évoque le travail d’artistes qui, en se réappropriant une œuvre d’art, en renouvellent le discours. C’est le cas, par exemple, de Sherrie Levine qui avait reproduit en bronze l’urinoir de Marcel Duchamp. Cette manière de faire, qui trouve son paroxysme avec le Commodity Art, s’étend cependant, à bien y réfléchir, à toute forme de création si l’on veut bien considérer que l’artiste n’est jamais complè­tement autonome par rapport à l’histoire de l’art. En créant, il pérennise la narration des artistes passés, dans un moment et un contexte autres. Aucun d’eux n’est porteur d’une pensée originelle. Seule la composition change, selon la sensibilité de l’artiste.

Dans sa deuxième installation, Michael A. Robinson a dessiné au crayon des cercles concentriques bleus. L’aspect minimal et purement formel de ce geste fait référence au travail d’Agnès Martin, artiste qui désirait dégager de sa peinture toute forme d’intellectualisme. Pour elle, seule la matérialité de l’œuvre comptait. Les teintes légères et les formes discrètes de ses œuvres témoignaient de cette approche si personnelle et presque spirituelle. De la même manière, l’exposition Mesures d’austérité témoigne d’une aspiration à une forme d’art vidée de tout propos. Avec pour modèle l’idéal d’Agnès Martin, Michael A. Robinson dévoile sa quête d’une pure objectivité dans son art. À cette fin, il dessine des cercles de manière répétitive. Ce type de tracé récurrent prend alors valeur de signe et s’éloigne ainsi de toute représentation ou interprétation.

Devant cet emboîtement de formes circulaires, l’artiste a placé deux haut-parleurs qui émettent des sons provenant de bandes sonores différentes. La première est la Valse sentimentale de Tchaïkovski jouée par Clara Rockmore au thérémine, instrument électronique qui émet des sons produits par des ondes. Les mains du musicien ne touchent pas l’instrument, d’où l’étrangeté de sa sonorité. Au mystère ainsi suggéré, le morceau interprété, quant à lui, apporte une tonalité doucement mélancolique.

Le second haut-parleur émet les hésitations d’une voix masculine. Il s’agit de passages que Michael A. Robinson a extraits de l’interview de Richard Tuttle interrogé au sujet du travail d’Agnès Martin. Une fois encore, Michael A. Robinson procède à une mise en abyme puisqu’il s’agit d’une œuvre provenant du discours d’un homme sur une autre artiste, et donc d’une recontextualisation. En diffusant ces marques d’hésitation du discours, Michael A. Robinson montre éga­lement la difficulté de décrire la véritable portée d’une œuvre d’art. Sa résonance appartient à l’impossible à dire et ne peut être décrit. Si la parole peut accompagner l’aspect formel d’une œuvre, elle ne peut s’aventurer au-delà de la matière. Les deux bandes sonores se font alors écho, puisque toutes deux se référent à l’immatériel : l’une par une musique très mystérieuse, l’autre par l’évocation de l’indicible.

Si les œuvres de Michael A. Robinson se veulent vidées de tout propos et tendent vers l’objectivité, elles n’en demeurent pas moins marquées par la sensibilité de celui qui les crée. La valse mélancolique de Tchaïkovski et le bleu des cercles et des aquariums confèrent une certaine affectivité à l’exposition. En cela, les œuvres de Mesures d’austérité se veulent, avec le plus de simplicité possible, des expressions de l’immatériel mais à travers une approche très personnelle et intimiste. Si l’exposition se veut modeste, « austère », elle n’en effleure pas moins les confins de l’art – là où la parole se tait. 

L’artiste est représenté, à Montréal, par la Galerie Antoine Ertaskiran.

(1) Nicole Everaert-Desmedt, Interpréter l’art contemporain : La sémiotique peircienne, De Boeck, Bruxelles, 2006.

MICHAEL A. ROBINSON MESURES D’AUSTÉRITÉ
Le Lieu, centre en art actuel, Québec
Du 3 au 26 octobre 2014