Mythes et mensonges à Moncton : « Les histoires nécessaires »
Le mois d’août est toujours festif à Moncton, mais les francophones du coin ont une raison de plus de célébrer puisque le Congrès mondial des Acadiens (CMA) s’y déroule cette année. Les organismes culturels de la ville ont préparé un projet faisant écho à cette réunion et ont collaboré avec la commissaire indépendante Véronique Leblanc, originaire de Montréal. Tout comme les Acadiens, l’exposition est disséminée un peu partout dans la ville à des endroits qui attirent différents publics. On verra ainsi Les histoires nécessaires et ses volets s’installer à la Galerie d’art Louise-et-Reuben-Cohen, mais également prendre ancrage dans des lieux plus surprenants : l’édifice de l’Assomption, l’hôtel de ville et même un kiosque de représentation sur le site du CMA.
À la Galerie d’art Louise-et-Reuben-Cohen
La galerie de l’Université de Moncton accueille pour sa part des œuvres plus récentes, présentées pour la première fois et s’adressant davantage à un public averti. Abordant le thème de l’identité par différents médiums, l’exposition regroupe le travail de plusieurs artistes qui revisitent leur passé personnel et culturel et brouillent la limite entre fiction, construction de l’histoire et expériences vécues. Noémie DesRoches exhibe à l’entrée de la salle Le coffret souvenir (2019), une série d’huiles sur papier de petite taille rappelant le format d’un polaroïd. Inspirée par un album photo appartenant à son grand-père, l’artiste reprend les formes de ces clichés et les modifie légèrement afin de les reconstruire. Alors que certaines pièces sont accrochées au mur, un coffre empli d’autres images laisse le regardeur les manipuler et découvrir les identifications à leur dos. Un sentiment de grande intimité mêlé à un doute quant à la nature archivistique de ce qui est représenté donne le ton au reste du parcours.
À l’hôtel de ville
Situé à deux pas du CMA, l’hôtel de ville est un lieu fréquenté par des personnes de tout acabit et, pour l’été, par plusieurs Acadiens venus d’aussi loin que des États-Unis pour célébrer leur culture. C’est en son centre que la commissaire a décidé de regrouper les œuvres de quatre artistes bien connus par le milieu des arts à Moncton, dans le but avoué de faire découvrir leur travail à un nouveau public. On y trouve notamment Maman, ne laisse pas ta petite fille devenir une artiste (2015) de Jennifer Bélanger.
Pendant deux ans, l’artiste a tenu un journal dans lequel elle décrit son apprentissage de la guitare, afin d’écrire une nouvelle version – qui tend vers l’autodérision – de la chanson Mammas, Don’t Let Your Babies Grow Up To Be Cowboys d’Ed et Patsy Bruce. Enregistré et filmé en anglais et en français, le vidéoclip fait rire, sourire et rend compte de toutes les difficultés absurdes que s’infligent les artistes. Elle cherche ainsi à s’interroger sur la vision que les artistes portent sur eux-mêmes, mais explore également son passé personnel par l’entremise du journal intime illustré. Ce travail introspectif met de l’avant la différence entre la personne qu’elle était plus jeune et celle qu’elle est maintenant devenue.
Plutôt que de vouloir présenter encore une fois la culture acadienne comme un monolithe, la commissaire a plutôt choisi une autre voie : « Définir l’art acadien, c’est dépassé », explique-t-elle.
À la Galerie Assomption
Dans la petite galerie vitrée, au centre de l’édifice de l’Assomption, est présentée une panoplie de portraits et d’objets liés au personnage inventé par Becka Viau : la reine du Nouveau-Brunswick. L’installation The Queen (2012-) se compose d’œuvres commandées à d’autres artistes qui, regroupées, solidifient la mythologie fictionnelle de la reine. En imaginant de toute pièce une autorité souveraine, Viau rappelle que le pouvoir et ceux qui le détiennent ne sont que des phénomènes construits.
Une performance de l’artiste était également à l’horaire. Assise sur un trône, maquillée et habillée en monarque, Viau se trempe les mains dans deux seaux remplis de miel tout en fixant le public, de l’autre côté du mur de vitre. Pour immortaliser ce moment considéré historique dans l’univers de Viau, le peintre Mario Doucette a été invité à en faire un portrait.
À l’Espace Extrême frontière du Congrès mondial acadien
Le projet participatif Évangenalia (2019) de Rémi Belliveau s’invite sur le site du CMA en prenant la forme d’un kiosque de présentation. Plutôt que de vendre un produit ou de donner de l’information comme les autres kiosques, celui-ci propose au public de devenir Évangéline, l’héroïne acadienne crée par Longfellow dans le poème A tale of Acadie.
La figure de cette allégorie de la déportation des Acadiens fascine et obsède Belliveau depuis plusieurs années par sa nature factice et sa signification artificielle. Alors qu’il s’est par le passé intéressé à ses diverses représentations, l’artiste utilise maintenant ce projet pour transcender l’archive et inviter le public à incarner l’héroïne. Sans doute fatigué par la surutilisation de cette personnalité historique inventée, Belliveau décide maintenant de pasticher l’iconique Acadienne en laissant les autres faire partie intégrante de cette fiction.
Instrumental stories
Pour mettre sur pied ces expositions, Véronique Leblanc en est allée d’un long processus de recherches, accompagné d’une multitude de visites d’atelier et de discussions avec les artistes locaux. Plutôt que de vouloir présenter encore une fois la culture acadienne comme un monolithe, la commissaire a plutôt choisi une autre voie : « Définir l’art acadien, c’est dépassé », explique-t-elle. Bien qu’un effort évident ait été mis pour promouvoir l’art en Acadie (notons par exemple la traduction en chiac de la présentation de l’exposition à la galerie de l’Université), les thèmes principaux de ce projet commissarial sont universels. Le travail des artistes exposés met ainsi de l’avant les questions de minorité, d’identité, d’inclusion, de vrai et de faux. Il permet également de souligner le pouvoir qu’ont ceux qui ont écrit et instrumentalisé ces histoires nécessaires.
Les histoires nécessaires
Commissaire : Véronique Leblanc
Galerie d’art Louise-et-Reuben-Cohen et Musée acadien de l’Université de Moncton
Du 9 août au 13 octobre 2019
Galerie Assomption, espace Extrême frontière et Galerie Moncton
Du 9 au 30 août 2019
Artistes : Maryse Arseneault, Jennifer Bélanger, Rémi Belliveau, le Collectif Acadie art exchange (Sheila LeBlanc, Ariella Pahlke et Ann Verrall, en collaboration avec la communauté de Clare), Angèle Cormier, Noémie DesRoches, Mario Doucette, Natalie Sappier (Samaqani Cocahq), Sarah Saunders, Anna Torma et Becka Viau