La Ville lumière se donne en spectacle au Musée de la civilisation de Québec qui célèbre cette année ses 25 ans d’activités et de liens privilégiés avec la France. Conçue comme telle, l’exposition Paris en scène 1889-1914, deuxième — après Rome. Des origines à la capitale d’Italie, en 2011 — d’une série dédiée aux grandes capitales du monde, mise en effet sur plus de 250 artefacts, œuvres, objets d’art, films et extraits sonores pour recréer les ambiances et l’effervescence de la Belle Époque. Pari relevé !

Entre 1889 et la déclaration de la Grande Guerre, la capitale française vit une période charnière où elle entre de plain-pied dans la modernité à coup d’innovations de toutes sortes, tant urbanistiques, industrielles, technologiques, sociales que culturelles.

Le percement des Grands Boulevards par Georges Haussmann et l’érection de la tour Eiffel – la « Dame de fer » comme on la surnomme alors, véritable prouesse de l’industrie française – changent radicalement le visage de la capitale. Dès lors paré de jardins et de parcs accueillants, d’artères praticables et de larges avenues convergeant vers une place de l’Étoile revampée, le cœur de Paris bat à un rythme accéléré et, avec lui, la société parisienne.

Paris en mouvement

Hôtesse de cinq expositions universelles, dont celle de 1900 avec ses pavillons grandioses dont l’exposition fait grand étalage, la ville reconfigurée en met plein la vue… On y assiste à l’apparition des transports collectif motorisé (tramway électrifié, automobile et métro) et individuel (vélocipède et bicyclette) qui facilitent les déplacements et favorisent l’accès aux divertis­sements populaires. Le spectacle qu’offre la rue devient une activité prisée. Les halles débordent de vie. Les fêtes foraines s’animent d’une foule bruyante et friande de curiosités. Les inventions du télégraphe, du cinématographe et du phonographe font sensation. Les artistes en herbe affluent du monde entier dans cette capitale des arts réputée pour ses académies, ses avant-gardes, ses salons et sa bohême. Les privilégiés des quartiers chics s’adonnent aux sports, aux loisirs de plein air et à d’autres caprices… parfois inavouables !

La vie nocturne s’organise autour des théâtres, des cafés-concerts et des cabarets aux noms légendaires : le Moulin rouge, les Folies Bergère, le Divan japonais, le Chat noir, etc. Tandis que les maisons de société pullulent, les petites gens ont aussi leurs lieux attitrés de plaisirs et de perdition. Du quartier de l’Opéra, de Pigalle ou de Montmartre, élégantes et messieurs en haut-de-forme, petits employés en goguette, artistes peignant, chantant et dansant, mondaines, cocottes et maquereaux composent la faune hétéroclite d’un Gai Paris qui semble ne jamais vouloir se reposer.

Ce portrait d’un Paris en perpétuel mouvement s’est imposé d’emblée à Jeannot Painchaud, directeur du Cirque Éloize à qui le Musée a confié la direction artistique de l’exposition. Le circuit, décomposé par zones thématiques (parcs et jardins, cinéma, théâtre, salons d’artistes, cirque, cabarets, expositions universelles) réunies par un axe central, invite à déambuler d’environnements sonores en dispositifs visuels variés, voire à se fondre littéralement à la foule bigarrée des passants.

Le Paris des arts et des plaisirs

Entre les colonnes Morris, la première voiturette Renault, les machines à images, les projections des frères Lumière (L’arroseur arrosé, 1895) ou de Georges Méliès (Voyage dans la lune, 1902) et autres attractions à la mode, la Belle Époque revit, entre autres, dans les scènes bourgeoises de Jean Béraud (dont Le Chalet du cycle au Bois de Boulogne, entre 1895 et 1905), les affiches de Toulouse-Lautrec (Le Divan japonais, 1893) et d’Alphonse Mucha (Sarah Bernhardt en Gismonda, 1894). Outre les créations art nouveau (Gallé, Vever) et les costumes de scène portés par des comédiens vedettes comme Réjane et Constant Coquelin en Cyrano, un magnifique portrait de la « Divine », peint en 1876 par Georges Clairin, illumine la section dédiée au théâtre.

L’amateur d’art n’est donc pas en reste. Dans la section consacrée aux salons d’artistes où se mêlent modernes et académistes, les sculptures de Rodin, Claudel et Bourdelle côtoient les œuvres d’Alfred Laliberté, Suzor-Coté, Charles Huot, James Wilson Morrice, etc. Entre 1880 et 1914, on estime d’ailleurs à 200 le nombre d’artistes canadiens à avoir tenté l’aventure parisienne, passage obligé pour apprendre le métier.

Parmi la trentaine de tableaux ponctuant le tracé, certains, peu ou pas connus du public, sont à voir en primeur. Dès l’entrée, l’immense fresque Les Halles de Léon Lhermitte, réalisée en 1895 et restaurée pour l’occasion, dormait depuis 1927 dans les réserves du Musée du Petit Palais. Celle-ci, déployée jadis à l’Hôtel de Ville, montre le marché public parisien que Zola se plaisait à nommer le « ventre de Paris ».

Plus loin, point d’orgue de l’espace consacré au cirque, un tableau monumental de Fernand Pelez (Grimaces et misère, les Saltimbanques, 1888), perçu comme une critique sociale, révèle l’envers du décor de l’univers des forains. Enfants acrobates à la mine triste, musiciens et clowns désabusés s’exhibant sur la scène évoquent la réalité souvent pathétique des amuseurs à la merci du public.

À la légèreté festive des oisifs s’oppose ainsi subtilement le Paris des petits travailleurs ordinaires qui travaillent de 12 à 15 heures par jour, des filles de joie et des racoleuses qui « se marchandent » dans les maisons closes et dans la rue. On ne rit pas toujours dans ce Paris occulté, auquel on accède à la dérobée !

Cliché sans doute mais certes efficace, le circuit se termine par un diorama impressionnant de la Ville lumière à la Belle Époque (signé Sem et Roubille), vue depuis le premier étage de la tour Eiffel.

Mise en espace sobre et environnement sonore enveloppant qui laisse à l’oreille, là une rengaine d’Aristide Bruant ou de Félix Mayol, ailleurs la voix criarde du bonimenteur qui se perd dans le tumulte de la rue, Paris en scène 1889-1914 se veut une expérience sensorielle riche d’histoire. Comme telle, il faut la vivre…

PARIS EN SCÈNE 1889-1914
Musée de la civilisation de Québec
Du 19 juin 2013 au 23 février 2014