Cette année encore, les Passages insolites prennent d’assaut la ville de Québec, déployant des œuvres d’art public sur un parcours de 2,5 km. Seize œuvres de dix-sept artistes du Québec, du Canada et d’ailleurs vont ainsi à la rencontre des amateurs d’art, des touristes et des passants afin de les surprendre à l’occasion de cette 9e édition. 

Bien que l’on commence à être familiers avec cet événement d’art public, la mouture de 2022 nous réserve des changements intéressants, tout en conservant les éléments qui en font sa renommée. Le Musée du Bad Art est de retour, tout comme certaines œuvres telles que Quand mon père est mort, c’était comme si une bibliothèque entière avait brûlé (2015) de Susanna Hesselberg. Néanmoins, cette édition se caractérise par un tournant socialement engagé. Si certaines œuvres au discours revendicateur étaient présentées lors des années précédentes, la mouture de 2022 marque par leur nombre plus substantiel. Certaines installations du parcours traitent ainsi directement de décolonisation, d’environnement et de géopolitique. Non seulement les œuvres sont sorties du contexte muséal ou de centre d’artistes, mais par ce virage, ce sont aussi ces enjeux qui quittent le cocon des milieux spécialisés pour s’installer dans l’espace public, où tous et toutes peuvent participer au dialogue.

Infiltrer l’art dans la vie

À l’instar des éditions précédentes, l’accessibilité à l’art se fait un pilier des Passages insolites. Infiltrant l’espace public, les œuvres, comme Il y a quelque chose de la guérilla (2021) du Collectif Bélanger-Sacy, déconcertent par leur stratégie de détournement. Imitant les cabines téléphoniques de Bell qui habitaient autre fois nos coins de rue, l’installation invite à écouter des extraits poétiques d’une relation épistolaire entre les deux artistes, où ils questionnent la quête amoureuse à l’ère des réseaux sociaux. 

La surprise réside aussi dans les lieux investis. En ce sens, le lit à baldaquin de Vincent Olinet étonne non seulement par son caractère coloré et ludique, mais pousse surtout les passants à se demander ce qu’un lit fait dans le bassin Louise. Au détour d’un bâtiment, l’événement crée ainsi des espaces d’émerveillement, de jeu et de stupéfaction.

Ai Weiwei, Life Jackets (2022) Photo : Stéphane Bourgeois
Ai Weiwei, Life Jackets (2022) Photo : Stéphane Bourgeois

Exhorter des conversations nécessaires

Bien que poésie et magie soient encore caractéristiques des Passages insolites, militantisme s’ajoute à la liste tandis que l’organisation en a fait une priorité de sa nouvelle programmation. 

Il est impossible de passer à côté de la participation marquante d’Ai Weiwei. Constituée de 10 000 vestes de sauvetages récupérées par l’artiste sur l’île de Lesbos lors de la crise des migrants syriens, Life Jackets (2016-) saisit au loin par ses couleurs vives, pour ensuite percuter par son sens, son bagage émotif. L’emplacement de l’installation colossale, directement face au fleuve, rappelle pour sa part les nombreuses vagues de migration qui ont formé une grande partie du Québec, remettant en question notre vision face à ces enjeux géopolitiques.

Un peu plus loin, c’est l’œuvre #hopeandhealingcanada (2021-2022) de Tracey-Mae Chambers qui invite à la réflexion. Constituée de fils rouges évoquant à la fois des toiles d’araignées et des formes végétales, l’installation entrelace tricot et conception de capteurs de rêves. En réponse à la découverte massive de sépultures sur les sites des pensionnats autochtones, l’artiste ojibwa-métis a amorcé la création de cette vaste série dans une démarche de guérison. Par son œuvre, elle souhaite générer des espaces de rencontre et de discussion sur des enjeux autochtones comme les impacts des pensionnats et des politiques d’assimilation. Le choix du lieu d’exposition tout près de l’Église Notre-Dame-des-Victoires, judicieux, amplifie en ce sens la portée de l’installation et participe à la mission de décolonisation de l’espace public que s’est donnée l’artiste. 

Mia Feuer, Méditations sur les matériaux et températures terrestres (2022) Photo : Stéphane Bourgeois
Sébastien Giguère, Espoir 2.0 (2022) Photo : Stéphane Bourgeois

Particulièrement significative en cet été de canicule, Méditations sur les matériaux et températures terrestres (2022) de Mia Feuer, située au Vieux-Port, pousse à réfléchir à l’exploitation pétrolière et ses impacts – ironiquement sur un fond de bateaux de plaisance. Émergeant du sol, la Zamboni est marquée d’un trou béant où brillent de mille feux des géodes faites de bouteilles de plastique recyclées et d’autres déchets. La beauté de ces dernières porte quelque chose d’inquiétant, comme ces gigantesques flaques de pétroles capturées lors de déversements accidentels dans l’océan. Effroi et émerveillement se côtoient alors dans une danse macabre. C’est d’ailleurs peut-être à ces craintes que répond le gigantesque briquet de Sébastien Giguère, Espoir 2.0 (2022), montrant que si la discussion a réellement lieu, tout n’est pas perdu.

En investissant des endroits clés du Vieux-Québec avec des œuvres fortes et évocatrices, les Passages insolites ne font pas que suggérer un lieu de dialogue. Par leur présence dans l’espace public, ces installations engagées interpellent les spectateurs, les exhortant à prendre un moment pour réfléchir, pour discuter de ces enjeux. Les gens de tous horizons sont ainsi incités, finalement, à avoir ces conversations nécessaires.


(Événement)

Passsages insolites
Exmuro arts publics, Québec
Du 25 juin au 10 octobre 2022