Pierre Lefebvre parvient à réinterpréter et à s’approprier, sans concession, les codes et les techniques d’une peinture hors du temps, celle aujourd’hui considérée classique, dans le sens le plus noble.

Les compositions de Pierre Lefebvre sont paisibles, mystérieuses et séduisantes, remplies de signes et de mondes improbables, discrètes et chatoyantes ; de celles que l’on retrouve dans le plaisir, au gré des promenades, dans les salles trop confidentielles des musées consacrés aux « beaux-arts ».

Le talent de l’artiste s’exprime principalement dans des scènes dites de genre : intérieurs et natures mortes. L’exposition à la Galerie de Bellefeuille propose également quelques portraits et paysages. Les sujets familiers explosent dans la série intitulée Bigger is Better. Dans ces grands formats (122 x 152,5 cm), la proximité du regard s’accompagne d’une vive intensité des couleurs et d’un grand raffinement dans le traitement méticuleux des transparences.

Lefebvre, peintre hollandais ?

Il y a du Hollandais dans ce natif de Hull (1954) qui s’est formé aux exigences de l’huile et dont les premières expositions datent du début des années 1980. La vaste culture de Lefebvre vient de sa fréquentation assidue des musées au cours d’un séjour en France (1986-1987).

Tout concourt à susciter un écho, à la fois familier et trompeur, avec des œuvres des grands maîtres flamands. Il faut le souligner, ces peintres sont les premiers à avoir sorti la peinture des églises et représenté des scènes domestiques, remarquables dans le raffinement du détail, la maîtrise de la lumière et les jeux de perspective. Évidemment, on pense à Vermeer, non sans savoir que la seule évocation du Maître de Delft disqualifie, par une comparaison abusive, l’intention élogieuse et interdit toute critique de celui qui s’en inspire.

Rien de flagrant, pourtant les correspondances sont bien présentes et les symboles transparaissent dans la nuance. La table, sujet/support de toute nature morte, est évidemment omniprésente. Elle est partiellement recouverte d’une nappe, elle-même recouverte d’une pièce de tissu, le plus souvent blanc, dont les plis délibérés vont au-delà des brisures du lin, celui dont on fait les coiffes des jeunes Flamandes et les linceuls (Dark Marianne). Les motifs de la nappe se prolongent sur le papier peint des murs, ce sont des feuilles libérées d’un herbier (Les feuilles mortes). Les chaises, au premier plan, équilibrent la composition et amènent le regard à les contourner pour poursuivre l’exploration. Tableaux dans le tableau (encore Vermeer), nulle lumière ne provient des fenêtres (Grand intérieur en gris). La seule intrusion de l’extérieur vient d’un souffle de vent suggéré par le soulèvement d’un voile (Kitchen’s corner). Trois fruits sont réunis dans une coupe ou une assiette, quelques autres, entiers ou découpés avec une précision clinique – ni jus, ni pépins ni noyaux–, sont distribués dans la composition. La carafe devient vase. Les fleurs, lys et roses stylisés, comme de papier, sont invariablement blanches et s’échappent du vase pour se retrouver sur la table jusque dans le tissu qui recouvre les chaises (Intérieur, nappe rose).

Des perspectives déroutantes

Le regard de Lefebvre plonge à hauteurs variables sur les objets qu’il donne à voir. Les plans s’entrecroisent, dessinant des diagonales. Les tapis et les carrelages des intérieurs soulignent la composition et contribuent à une profondeur que les objets du premier plan démentent. La construction s’impose aux canons de la gravité. Le cliché voudrait que les objets glissent hors du cadre. Rien n’est plus faux. Tout est maîtrise et retenue, et le déséquilibre suggéré participe à la tension propre à un monde à la fois inventé et totalement familier.

Les objets représentés n’existent pas, ils appartiennent à la peinture. Pourtant, loin de toute prétention réaliste, Lefebvre tire manifes­tement un grand plaisir à rendre avec précision, en brisant les codes symboliques, le velours de la pêche, la transparence de la faïence ou les reflets du métal. Voyez ce film gris qui recouvre les bleuets. C’est un plaisir équivalent que l’on retrouve dans les portraits qui ponctuent l’exposition.

C’est toujours la même et pourtant chaque fois une autre. Blonde, pâle, sereine et en même temps aux aguets, le regard tourné vers l’intérieur. Aucune aspérité, pas de rougeurs, les portraits de Lefebvre ressemblent à ses fruits, ils sont lisses, voire durs (Étude, tête de femme 2).

Cette froideur confond, suspend le sens de l’œuvre et force une observation attentive. Elle provient du soin apporté à la construction, à l’éclairage feutré et au traitement du médium appliqué en petites touches délicates. On ne note aucun dérapage, aucune provocation. On est ici à des lieues de l’esbroufe du « geste » ou de quelque « Marilyn » racoleuse. Harmonieuse et presque sereine, l’œuvre exposée est apaisante. Pierre Lefebvre n’est pas tout à fait de notre époque, mais il est bien de toutes les autres. 

PIERRE LEFEBVRE BIGGER IS BETTER 
Galerie de Bellefeuille, Montréal
Du 8 au 18 novembre 2014