Dédiée à Pierre Granche, professeur en arts plastiques et sculpteur notoire, l’exposition Faire place : une brève histoire des arts plastiques à l’Université de Montréal rappelle l’époque comprise entre 1974-2002 où existait alors un programme d’enseignement des arts. L’événement est largement de nature archivistique. En effet, cette expo­sition présente, d’une part, des documents internes, des brochures, des catalogues d’exposition liés aux activités de la section d’arts plastiques du Département d’histoire de l’art de l’Université de Montréal et, d’autre part, les œuvres tirées de collections privées et du Fonds de l’Université faisant revivre le profond changement et, littéralement, le bouillonnement qui secouaient le champ des arts visuels à Montréal et dans tout le Québec.

« Il s’agit d’une exposition de recherche. C’est un travail mémorial où l’art est positionné à la limite de l’archive », déclare Flavie Boucher, cocommissaire et étudiante au niveau du doctorat au Département d’histoire de l’art. Elle ajoute : « Pendant le vernissage, l’émotion était vive : des professeurs et des artistes – leurs anciens étudiants – se sont retrouvés. » Ils ont partagé le souvenir d’explorations communes et de découvertes. Il est pertinent de mentionner que l’établissement a formé des artistes aujourd’hui reconnus : Michel Saulnier, Éliane Escoffier, Éve Cadieux, Emmanuel Galland, Suzanne Joos…

Il est facile de voir que les œuvres exposées sont porteuses des tendances qui structurent l’actuel paysage des arts ; surgies au sein d’un milieu marqué par l’enseignement, tâtonnantes, elles reflètent une pensée et une sensibilité toujours vivantes. Créées entre 1970 et 2000, ces œuvres se définissent comme des interrogations sur le rôle de l’art dans la société, sur la fonction de l’artiste et sur la nature même de l’œuvre d’art. Elles jalonnent une période radicale dont l’enjeu a été la reconsidération et la redéfinition du rôle de l’art.

Et justement, au cours de cette période, l’art se diversifie au-delà de la peinture et de la sculpture : la photographie, le land art, l’installation, l’art conceptuel s’arrogent des places dominantes. La forme des tableaux se libère de la domination du carré et du rectangle au profit de configurations inédites, comme en témoignent, par exemple, les formats de monochromes noirs incurvés du peintre Guy Pellerin (1986), dans le sillage des Américains Frank Stella et Kenneth Noland.

De la théorie à la pratique

Des œuvres des enseignants Pierre Granche, Serge Tousignant, Peter Krausz, Rober Racine, Ariane Thézé, Cozic, Jacek Jarnuszkewicz, entre autres, laissent percevoir les vecteurs de changement. Une série de grands montages photographiques d’Emmanuel Galland – surtout connu actuellement comme commissaire d’exposition – alors étudiant en arts plastiques, présente le genre portrait de manière déstabilisante. Un tapis de coton de Marie-Josée Lafortune suit un patron du peintre plasticien Claude Tousignant et introduit dans l’exposition une note féministe et référentielle postmoderne.

Flavie Boucher décrit l’état d’esprit de la section des arts plastiques ; elle souligne l’étroite alliance entre l’exercice et la théorie de l’art. « Il y avait, dit-elle, un éclatement des frontières disciplinaires. Les approches et les disciplines se pratiquaient en proximité les unes des autres. La chambre noire de la photo partageait la même salle que l’atelier de moulage de la section sculpture. »

Un état d’esprit

Pierre Granche (1948-1997), un des fondateurs de la section des arts plastiques, s’efforçait justement « d’intégrer les étudiants, en reprenant d’une manière moderne le fonctionnement des grands ateliers de la Renaissance et du Bauhaus. Il laisse volontiers des disciplines comme l’architecture, les mathématiques et la géométrie influencer ses recherches1 ». Granche, qui avait fait des études à l’École des Beaux-arts de Montréal, puis à l’Université Paris Vlll renommée pour son avant- gardisme, représentait cet état d’esprit typique qui consistait à combiner le métier artistique maîtrisé avec l’ouverture totale sur la modernité.

Certaines œuvres graphiques de Granche sont d’un reposant minimalisme dans le sillage du Bauhaus. Auteur de nombreuses sculptures monumentales, c’est un pionnier de l’intégration de l’art à l’architecture. Tel un architecte, il conservait les traces de ses recherches, les notes préparatoires du processus de création, ainsi que la présentation finale de ses œuvres2 ». À cet égard, des esquisses et des plans complets de la sculpture monumentale intitulée Topographie / Topologie (1980), installée devant le CEPSUM de l’Université de Montréal, sont d’une élégance digne d’œuvres d’art achevées.

Des travaux sérigraphiques et photographiques abstraits de Serge Tousignant exhibent des carrés à l’intérieur de rectangles plus amples : en effet, la sérialité se manifeste à l’intérieur de l’œuvre même. On note un traitement raffiné des lumières, y compris du ciel. Ses séries sont « des systèmes optiques ». En affranchissant la photo de ses fonctions de représentation, en les présentant en série, il crée de véritables scénographies3. Parmi les moyens artistiques que Tousignant met en œuvre, se retrouvent l’illusion optique et le jeu d’ombres. Des asymétries, des traits de couleur solitaires rompent les rythmes et maintiennent les tensions visuelles.

Une série de trois panneaux de montages photographiques d’Emmanuel Galland (Dépôt, 1996) créent dans leur totalité une agréable sensation de respiration, en partie grâce aux dimensions relativement amples, et à l’envahissante blancheur du cadrage. Étrangeté, voire morbidité, s’insinuent dans ses portraits de famille en noir et blanc confinés dans des bocaux de verre.

Il manque malheureusement un appareil explicatif convenable à cette exposition. La brochure disponible relève de l’archive institutionnelle. Certes, la juxtaposition des œuvres d’art avec des documents liés aux fonctions de la section d’arts plastiques reflète une période et une école injustement oubliées. Cependant, sur un plan muséographique, des explications plus amples sur les enjeux esthétiques et l’histoire de l’art auraient rendu cette très intéressante exposition plus compréhensible : après tout, l’enseignement de l’art en langue française à Montréal est désormais concentré à la seule Université du Québec à Montréal.

Faire place : une brève histoire des arts plastiques à l’Université de Montréal
Commissaires : Flavie Boucher et Daniel Fiset
Centre d’exposition de l’Université de Montréal
Du 28 septembre au 16 décembre 2017