Pour marquer son arrivée à demeure au nouveau Pôle de Gaspé, la Galerie Dazibao a produit une exposition inaugurale remarquée au titre paradoxal, Home sweet home. À propos de l’inquiétude. Réunissant des films, des vidéos, des photographies et des installations, l’événement suscite l’intérêt par la manière dont les deux commissaires, Olivia Boudreau et France Choinière, ont exploité le thème de la maison, ce lieu familier par excellence, comme un moyen d’examiner la psyché humaine. Inutile de chercher dans les œuvres l’apparence de la quiétude. Derrière les images fixes ou en mouvement, la maison comme lieu physique est vue comme un univers instable où émergent des sentiments de crainte, de mystère et même de détresse psychologique. Les œuvres voyagent dans différents registres, mais leur dénominateur commun réside dans l’exploitation du malaise et de l’incertitude chez l’humain comme source puissante de création artistique et de communication auprès du spectateur.

Dans l’ensemble des œuvres, le foyer ou son extension est l’endroit où l’intime se change en ombre. Dans Home video, Søren Lose revisite son lieu de naissance dans la région de Lolland, au Danemark. Elle s’introduit dans une maison vouée à la démolition avec sa caméra et une lampe de poche. S’y trouvent pêle-mêle des objets et des montagnes de détritus qui agissent comme seules traces de mémoire. Les scènes de désordre sont affligeantes et sombres. Dans une veine similaire, le cinéaste Ben Rivers a réalisé une maquette de maison abandonnée dans laquelle sa caméra se promène pour laisser entrevoir des débris de toutes sortes, une tapisserie déchirée ou un plafond effondré. S’intéressant aux environnements étranges, ses films explorent des mondes alternatifs qui mettent en scène des fragments de vie d’une existence oubliée. Mais, contrairement à Søren Lose, son mode d’introspection s’articule dans des environnements qu’il construit et invente. En ce qui a trait à Paulette Philips, son film The flooting house montre une maison à la dérive qui coule lentement dans les profondeurs de l’eau au large de la Nouvelle-Écosse. Son document se veut une métaphore de l’idée de la perte et établit en quoi les forces contradictoires et imprévisibles de la vie interviennent dans la destinée des individus.

Le climat d’inconfort se répercute également dans les œuvres photographiques de Bettina Hoffmann. Dans sa série intitulée Parked, elle élabore des scènes à l’intérieur d’automobiles où des individus sont confrontés à des contextes ambigus. Personne ne communique. Seul subsiste dans le regard des protagonistes un malaise partagé, comme si un bouleversement était sur le point de se produire. L’apparence du danger est également présente dans la photographie intitulée Revolutionary (night) de Nancy Davenport. Dans son œuvre, un hélicoptère dirige un faisceau lumineux sur les fenêtres d’un bâtiment où la silhouette d’un individu agite un drapeau rouge. Issue de sa série The Apartements, son œuvre présente des simulations d’attaques terroristes. Chaque scène est conçue en atelier et fait référence à des événements de l’histoire récente. Résolument critique, son travail traite de la violence politique et de ses répercussions négatives dans la vie des hommes.

Selon nous, le thème de l’exposition s’inspire du concept freudien de l’inquiétante étrangeté, terme provenant de la traduction française du titre de l’ouvrage Das Unheimliche du célèbre psychanalyste, paru en 1919. Ce mot est dérivé de Heim – le foyer ou la maison –, présent également comme racine du mot Geheimnis que l’on peut traduire par « secret ». L’inquiétante étrangeté correspondrait à la fois à une situation qui suscite une angoisse et à un secret divulgué qui est sorti de l’ombre alors qu’il devait rester confidentiel. Ce qui est intéressant dans l’essai de Sigmund Freud est son approche sur l’esthétique qu’il désigne comme la science des qualités de notre sensibilité. Dans les livres qu’il a consultés sur le sujet, il observe que les spécialistes attribuent généralement à l’art une finalité fondée sur la représentation de sentiments positifs, beaux et sublimes et font abstraction des états affectifs contraires, repoussants ou pénibles. Or, chez Freud, les sentiments chez l’homme sont multiples, et l’angoisse en constitue une qualité fondamentale qu’il faut explorer. Ce que proposent les artistes sélectionnés. Leurs œuvres témoignent en quoi les choses familières peuvent devenir étrangement inquiétantes par la rupture qu’elles opèrent avec la rationalité de la vie quotidienne. Dans l’événement présenté à Dazibao, l’expression de l’incertitude conditionne la production d’un type particulier de recherches plastiques. Celles-ci s’érigent en marge du discours médiatique dominant et alimentent une réflexion critique sur l’art, la vie… et l’état du monde. 

HOME SWEET HOME. À PROPOS DE L’INQUIÉTUDE
Dazibao, Montréal
Du 27 mars au 17 mai 2014