Coïncidant avec la fin du Global Africa Project du Museum of Arts and Design de New York, l’exposition Temps – Dialogue sur l’art contemporain au Sénégal, répercute à Montréal le mouvement d’intérêt pour l’art contemporain d’Afrique impulsé sur sa scène mondiale par d’autres grandes manifestations telles Africa Remix en Europe en 2005 et au Japon en 2006 et Sénégal contemporain au Musée Dapper de Paris la même année. Elle nous donne même une primeur sur la 10e Biennale de Dakar, puisqu’elle y sera reprise en 2012, conçue d’emblée comme un dialogue intercontinental autour du temps et des expériences contrastées de cette dimension entre aires de civilisation. Le commissaire dut pour cela prendre le temps de gagner la confiance et de laisser venir l’inspiration des six artistes de trois générations et diverses disciplines qu’il sollicita à froid sur ce thème, pour un audacieux projet dont les retards mêmes témoignent d’une authentique confrontation à son objet.

Vivre à son rythme ou soumis au mètre ?

Les artistes ont confirmé en table ronde au MAI le 1er avril ce qui frappe maint observateur en Afrique : « une vision du temps qui, loin d’être simple poursuite de choses ou d’argent, est faite d’ouverture à la vie, de spontanéité. Temps de la relation, de l’être, plutôt que du “ faire1 ”. » Un temps donc distribué dans l’espace social différencié de l’échange interpersonnel, plutôt qu’investi en une mobilisation de l’avenir dans l’espace homogène transparent du profit quantitatif et du progrès linéaire pour l’individu en masse solitaire de l’économie-monde.

Dans un premier temps à SBC, Aïcha Aïdara invite le visiteur à déambuler entre ses toiles-poteaux intégrant tissage et collage sur des thèmes sociaux, comme en un bosquet aéré dont les tons chauds d’un côté et bleutés de l’autre rappellent à la mémoire du corps l’expérience spatio-temporelle de la lumière et de l’ombre alternées. Dans un second temps, celui vitrifié du crédit, le marchand ambulant de Pape Seydi voit son image répétée à l’infini au miroir de la production où le visiteur est pris avec lui dans l’impératif d’écoulement de biens de consommation défalqués à chaque itération sans entamer une dette inextinguible. Le corps arraché à son rythme vital pour se soumettre au mètre économe de la mise en ressource d’un temps uniforme subit cette violence comme l’étouffement forcé d’un souffle retenu sans cesse sous l’eau du bain ou la compression à la chaîne d’employés de bureau modèles dans les ampoules d’un circuit énergétique intégré, ainsi que nous les font éprouver les fortes images de synthèse d’un film d’animation de Samba Fall.

Quel espace entre kairos et chronos ?

« On a le temps, vous avez l’heure », réplique Serigne Mbaye Camara au MAI en opposant, de part et d’autre d’un mur de bois, l’Occident et l’Afrique : une triple horloge de précision et une frange de montres abandonnées jonchant le sol au pied de la paroi. Le peintre Piniang préfère évoquer par le graffiti sauvage et la citation-collage le télescopage urbain de ces deux temporalités, l’une mondialisée, l’autre marginalisée, dans un même paysage. Fatou Kande Senghor n’hésite pas quant à elle à convoquer par des films documentaires la célébration traditionnelle des rites de passage, rythmée par le tissage de pagnes personnalisés pour chaque âge, dont elle drape l’espace d’une vie sur tout un pan de la galerie, conviant le visiteur à prendre le temps de se perdre dans cette contemplation de son cours cyclique sur des coussins colorés disposés pour le service du thé. La convivialité s’en dégage comme la leçon du dialogue qui s’engage à loisir à ce carrefour de multiples temporalités.

L’Afrique a un sens profond du kairos, de l’instant présent. S’il est vrai que le continent doit apprendre à maîtriser chronos sans se laisser dominer par lui, ne pourrions-nous pas glisser quelques kairos africains amicaux et un brin espiègles dans la monotonie de notre « métro-boulot-dodo2 » ? l

TEMPS — DIALOGUE SUR L’ART CONTEMPORAIN DU SÉNÉGAL
SBC galerie d’art contemporain
372, rue Sainte-Catherine Ouest, suite 507 Montréal
Tél. : 514 861-9992 www.sbcgallery.ca

MAI [MONTRÉAL, ARTS INTERCULTURELS]
3680, rue Jeanne-Mance, Montréal
www.m-a-i.qc.ca
Commissaire : Pierre Beaudouin
Du 2 avril au 7 mai 2011

(1) Pierre Pradervant, Une Afrique en marche. La révolution silencieuse des paysans africains. Paris: Plon, 1989, p. 315.

(2) Ibid., p. 316.