Une relation intime qui insuffle en douceur une réflexion sur notre rapport à la biodiversité du fleuve Saint-Laurent.

un éloge à un cachalot
une sculpture de papier
en apparence fragile
froissée.

Tryphon : un cachalot du Saint-Laurent, exposition de l’artiste visuelle Cynthia G. Renard, propose un contact avec un être vivant non humain, un acteur maritime important dans le fleuve Saint-Laurent, décédé tragiquement en 2009. L’exposition relate des faits réels qui, à première vue, semblent tirés du rêve, du conte. L’artiste dévoile la création d’une relation avec Tryphon, un cachalot macrocéphale s’étant échoué sur les berges de l’île Saint-Barnabé, dans l’estuaire du Saint-Laurent.

Un imaginaire naïf et poétique
des tableaux
des dessins
des archives
des textes
comme dispositifs réflexifs.

G. Renard s’attache à l’histoire entourant la fin de vie de Tryphon, le cachalot le plus célèbre des eaux du fleuve. Ayant accès aux relevés scientifiques du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), elle retrace le parcours de la baleine. Elle s’y intéresse comme on s’intéresse à un être cher, élaborant des scénarios et des dialogues. Cette relation fictive devient si intime qu’elle s’immisce dans le réel avec aisance, ce lien se solidifie et devient quasi palpable. Comme pour nous rappeler que même ce que l’on ne voit pas existe – ce qui habite les profondeurs du Saint-Laurent existe –, l’œuvre nous incite à considérer que les actes accomplis à la surface de l’eau ont des répercussions sur l’écosystème marin.

Un casier à crabes
une mâchoire de cachalot
profondeur
des couleurs
extérieur bleu
intérieur rouge
d’images et de sons
du deuil lisible.

Adoptant la forme épistolaire pour s’adresser au cachalot, l’artiste se confie à lui avec empathie, dans un langage qui évoque l’enfance. La lettre détaille les faits entourant la fin de vie de Tryphon et établit un rapprochement avec un deuil vécu par l’artiste : la perte de son frère. Un rapport au lien fraternel s’exprime dans ce récit douloureux et permet d’amplifier l’engagement envers le sujet : « Je t’aime Tryphon, j’aurais aimé sauter à l’eau pour te libérer des câbles, comme dans les films pour enfants. Je te souhaite où que tu sois de la joie et j’essaierai de faire tout mon possible pour qu’on soit conscient des maux que notre mode de vie humain cause à ton espèce et aux autres espèces qui vivent dans les mers[1]. »

Cynthia G. Renard, Maquette de Tryphon (2022) Papier, gouache. Photo : Reixt de Boer
Cynthia G. Renard, Esquisses – Tryphon, un cinéma (2022) Aquarelle et crayon de plomb sur papier ; 6 éléments. Photo : Reixt de Boer

Dans un esprit de recueillement, l’artiste présente alors le contact avec la sculpture de Tryphon comme acte d’adieu. Elle propose au visiteur de s’agenouiller sous le cétacé, d’entrer la tête au creux de son ventre afin d’y découvrir, dans un environnement sonore enveloppant, une projection sur les parois intérieures de son grand squelette de sept mètres de long. Par ce choix, G. Renard saisit l’occasion de faire vivre cette intense intimité ressentie entre le cachalot et elle. Cet instant de solitude nous mène à poursuivre la réflexion sur notre rapport à l’invisible des eaux.

De la poésie
de l’engagement environnemental
de la cohabitation.

Lors du vernissage, G. Renard se costume en calamar afin de faire corps avec l’univers fluvial. Dans cette scène performative, l’artiste lit des poèmes tirés de son recueil Tryphon : le cachalot du Saint-Laurent, en déambulant dans la salle comme si elle nageait aux côtés de son nouvel ami. Elle rend hommage à la bravoure de Tryphon tout en saisissant l’occasion de s’en rapprocher, elle transforme son apparence afin d’épouser ce que le cachalot côtoie sous l’eau. Peut-être est-ce dans le but de partager l’univers sous-marin du cétacé ? Ou encore afin de dénoncer notre rapport insensé à ce qui est proche de nous ? Par sa métamorphose en mollusque céphalopode, l’artiste opte pour une résistance colorée et pure. La vie aux côtés du cachalot induit cette métamorphose, et le choix du calamar n’est pas un hasard, car Tryphon se nourrit de ces animaux. Ainsi, non seulement l’artiste veut habiter le même espace que lui, mais en plus elle s’offre en repas à son nouvel ami, entreprenant une visite de l’intérieur où les entrailles du cachalot servent d’espace de contemplation. Girard-Renard partage ce lieu avec le visiteur en permettant un contact direct avec la monumentale sculpture de papier via son abdomen ouvert.

Tout en humilité et en sincérité, cette exposition exprime un souci pour l’environnement en touchant nos sensibilités écologiques et en nous invitant à nous préoccuper des espèces vivantes. Cette approche habile aura eu pour effet de susciter avec délicatesse une réflexion sur les répercussions de l’activité anthropique.

[1] Cynthia G. Renard, Lettre à Tryphon, 2022.


Exposition)

Tryphon : un cachalot du Saint-Laurent
Cynthia G. Renard
Commissaire : Ève De Garie-Lamanque
Musée régional de Rimouski
Du 23 octobre 2022 au 29 janvier 2023