Les Cahiers de la Fondation

Fondation Grantham pour l’art et l’environnement (2020-2022). Les Cahiers de la Fondation, 40 p. et +, ill.

Dès sa création en 2018, la Fondation Grantham s’est imposée au Québec comme l’une des plus importantes fondations en art contemporain, aux côtés des prestigieuses Fondation Phi et 1700 La Poste. Avec des moyens pourtant beaucoup plus modestes, cet organisme est devenu une référence incontournable en art actuel et en environnement. Un parcours exemplaire que l’on doit à la démarche rigoureuse et inspirée de ses fondateurs, Bernard Landriault et Michel Paradis.

La Fondation agit à la fois comme résidence de création, lieu d’exposition, laboratoire de recherche, forum de discussion et atrium scolaire. Comment allait-elle donc s’incarner dans une autre forme telle la publication ? Il faudrait imaginer un hybride entre le catalogue d’exposition, les actes de colloques, les carnets de notes d’artistes et de chercheurs. Les fondateurs/éditeurs ont conçu, avec la designer graphique Louise Paradis et les artistes, Les Cahiers de la Fondation : une collection de livrets d’une quarantaine de pages, regroupant des textes présentés dans la langue originale des auteurs et traduits vers le français et l’anglais. Ces cahiers, peut-on lire sur le site Internet de la Fondation, ont pour but « de présenter des expositions, des colloques, des démarches d’artistes, des textes de recherche et des essais provenant de tous les champs du savoir en relation avec l’art et l’environnement ».

À ce jour, cinq numéros ont été publiés1. Le premier cahier, Marilou Lemmens et Richard Ibghy, et le quatrième, Clément de Gaulejac, portent sur les lauréats des grands prix de la recherche de la Fondation Grantham 2020 et 2021 ; le deuxième cahier, Andreas Rutkauskas, et le troisième, Anahita Norouzi, sont une vitrine sur les lauréats des prix de la création 2020 et 2021 ; tandis que le cinquième cahier est consacré à l’exposition Exercices de réciprocité, issue d’une microrésidence de sept artistes.

De facture épurée – de simples feuilles brochées sous couverture cartonnée –, les Cahiers nous émeuvent par leur minimalisme et leur raffinement. Rien n’est laissé au hasard. Alignées sur la mission de la Fondation, ces publications réduisent au maximum l’empreinte écologique : recours à un petit format de 19,5 x 14 cm, papier et carton recyclés avec certification FSC®, encres végétales, papier nord-américain. L’esthétique n’est pas en reste : couverture embossée, maquette design, documentation en couleurs abondante. Enfin, le programme éditorial, en cohérence avec l’esprit d’ouverture et de partage de la Fondation, propose des textes d’artistes et de spécialistes de plusieurs disciplines, offrant ainsi « des regards
croisés sur un phénomène et des lectures qui s’enrichissent mutuellement2 ».

Humbles – du latin humilis, « près de la terre » –, comme des semences que l’on tiendrait au creux de la main, Les Cahiers de la Fondation forment un écosystème régénératif de la recherche en art et en environnement.

-Danielle Legentil

1. Les Cahiers sont offerts en version papier à la Fondation et en version électronique sur le site www.fondationgrantham.org. À compter de l’automne 2022, en collaboration avec le Collectif d’éditeurs d’art contemporain, ils seront distribués en librairie au coût de 12 $ chacun.

2. Entretien avec Bernard Landriault et Michel Paradis, le 26 juillet 2022.


Photo : Céline Huyghebaert

de tous nos corps

Céline Huyghebaert, avec les textes de Michel Bouchard, Claude Côté, Marie-Reine Kernec’h-Mauve, Marie-Michèle Mantha, Dorothée Njuidje, Jean-Pierre Paquet, Nathalie Prémont et Anka Alexandrov-Todorov (2022). de tous nos corps. Montréal : Centre Turbine, 76 p., ill.

Le livre de tous nos corps découle d’une démarche relationnelle initiée par Céline Huyghebaert avec le soutien de Turbine, un centre de création pédagogique, et de la Fondation Virage, qui accompagne les personnes ayant reçu un diagnostic de cancer. Par l’entremise d’ateliers d’écriture et de rencontres, l’artiste a colligé les réflexions sur la maladie de huit participantes et participants, auxquels se greffent ses dessins. Présentés anonymement dans la publication, les mots des uns et des autres sont regroupés dans un abécédaire poétique qui induit une narration en ordonnant l’attente, les examens, les peurs et la rémission, sans pour autant chercher à rendre entièrement linéaires des expériences si singulières.

La publication tire fort bien profit du caractère imparfait de la risographie, qui restitue toute la vulnérabilité du dessin de Huyghebaert. Si son style y est reconnaissable, on sent toutefois une volonté, notamment dans l’impeccable design graphique d’Audrey Beaulé (Studio Gabarit), de ne pas trop le mettre de l’avant, préférant que les mots portent davantage. Cette discrétion, qui trahit un respect pour les visées thérapeutiques du projet, contribue à redonner aux participantes et participants le contrôle de leur propre discours et l’agentivité que le milieu hospitalier tend à leur dérober. Du point de vue des lectrices et des lecteurs, ce kaléidoscope de voix évoque certainement des souvenirs personnels, toutes et tous touchés que nous sommes par la maladie. Çà et là surgissent des bribes de phrases qui nomment les choses mieux que le discours de la médecine ne peut le faire, qui disent exactement ce qui a été ressenti dans la chair. Destiné à faire œuvre utile en étant distribué gratuitement dans les centres d’oncologie, ce petit livre bleu propose une lecture empreinte de sensibilité, de résilience et de désir de vivre.

-Marie-Pier Bocquet


Manif d’art 10, La biennale de Québec (2022). Les illusions sont réelles. Québec : Manif d’art, 192 p., ill.

Les illusions sont réelles

Manif d’art 10, La biennale de Québec (2022). Les illusions sont réelles. Québec : Manif d’art, 192 p., ill.

Ce catalogue constitue une mise en exergue du programme officiel de la dixième édition de la Manif d’art – La biennale de Québec, en 2022, d’après la thématique Les illusions sont réelles. Telle une docu­mentation d’actes d’imagination textuels – théoriques – et visuels, l’ensemble du contenu de cette publication s’inspire du réalisme magique, un courant artistique qui impulse la manifestation d’éléments indescriptibles qui surgissent dans le réel, et qui semblent à la fois artificiels, irrationnels et surnaturels. L’événement bisannuel, disséminé à travers divers lieux de la ville de Québec, dissimulait des revirements conceptuels et matériels parmi lesquels le doute subsistait.

Le commissaire international invité, Steven Matijcio – qui s’intéresse aux stratégies du trompe-l’œil au XXIe siècle, ainsi qu’à la relation entre l’art et la magie – signe un essai révélateur quant à des pratiques artistiques qui manœuvrent des trompe-l’œil inexplicables, des stratégies de détournement captieuses, des embu­scades trompeuses, des ruses moqueuses et des tours de passe-passe sans subtilité. Des textes des artistes Jonathan Allen et Skawennati de même que de l’historien de l’art et sociologue Maxime Coulombe, « dé-reconstruisant » les préceptes illusionnistes de l’art, sont soigneusement annexés à l’écrit de Matijcio.

Le catalogue bilingue, d’une sobriété raffinée en raison de son graphisme appliqué, recèle toutefois de tours de prestidigitation à lire et à regarder, sorte de visite guidée – sur papier – des expositions et des interventions parmi lesquelles le faux abandonnait sa supercherie de prendre la place du vrai et vice-versa. Les 192 pages (sur)illustrées révèlent une recension majeure des œuvres de plus d’une centaine d’artistes qui ont pris part à cet événement.

-Jean-Michel Quirion