« Costumes nationaux » : un roman-feuilleton de Daniel Canty
Dans Costumes nationaux, Anatole, un « correspondant en beauté », monte à bord d’un train qui file vers l’est, à destination d’un royaume inconnu. Il souhaite y observer les habitudes vestimentaires des habitants, certes, mais aussi combler un désir enfoui : celui de retrouver la trace de Pimprenelle, son âme sœur. Défilera bientôt une ribambelle de personnages colorés qui divertira le correspondant, alors qu’il est aux prises avec des doutes amoureux grandissants.
Le projet littéraire de l’auteur montréalais Daniel Canty n’est pas sans évoquer la noblesse des grands récits de voyage et le surréalisme ludique des films de Wes Anderson. Ce pont entre littérature et cinéma se manifeste également dans la forme de l’œuvre, que Canty présente comme un roman-feuilleton.
Littérature et cinéma, mais aussi théâtre et design : la pluridisciplinarité est au cœur même du travail de Canty, qui compte les œuvres phares Wigrum (La Peuplade, 2011), VVV (Les éditions du passage, 2015), Les États-Unis du vent (La Peuplade, 2014) et, plus récemment, le recueil de critiques littéraires La Société des grands fonds (La Peuplade, 2018).
La mise en livre
Dans chacune des propositions de Canty, les mots nourrissent des formes vivantes et évolutives. Ayant commencé sa carrière il y a vingt ans avec l’adaptation en ligne d’un roman d’Alan Lightman, le créateur prend ici le chemin inverse en « mettant en livre » (un terme inventé par lui) un feuilleton web.
C’est en effet sur un site web que Costumes nationaux voit le jour, un chapitre à la fois, entre le printemps et l’été 2015. Encore aujourd’hui, le lecteur peut y dérouler le récit complet (avec la possibilité de l’imprimer et de le « mettre en livre » lui-même), alors que l’auteur travaille à la suite de l’histoire.
La publication imprimée, publiée quant à elle en 2017, rassemble les trois premiers chapitres (ou épisodes) de l’œuvre au sein d’un grand cahier blanc. Canty y présente le récit de voyage d’Anatole, entrecoupé par les commentaires d’un narrateur qui profite de certaines transitions pour nous donner des nouvelles du personnage, ou encore pour nous fournir le lexique de son vocabulaire imaginatif. Placées « au hasard » dans le livre, des lettres à la main rédigées sur du papier à en-tête d’hôtels fictifs montrent des échanges entre Anatole, sa douce Pimprenelle et son ami Ludveig. S’ajoutent aussi au lot un carnet d’images d’archives, des cartes postales ainsi qu’une série de fiches descriptives (et numérotées) des habitants qui composent le récit.
« Je voudrais que mes mots aient le pouvoir d’un sésame, d’un enchantement volontaire. J’ai entendu dire que le courrier interrompait son service des samedis. Bientôt, je repartirai vers l’est. Quand je serai parvenu à l’extrémité de ma fuite, j’espère que la poste restante existera toujours. »
Extrait, Costumes nationaux
Le tout est ensaché dans une grande enveloppe de papier kraft estampillée du sceau de la poste restante – une enveloppe qu’on aura plaisir à déballer, révélant une pointe de nostalgie pour le fait-main et les lettres manuscrites. L’objet mime donc une correspondance entre l’auteur et le lecteur, tout en faisant écho à la poste restante qu’Anatole utilise pour faire voyager ses missives.
Le résultat est tout simplement magnifique, grâce au design réfléchi et délicat du studio Feed, collaborateur de longue date de Canty. Les dessins de Stéphane Poirier, coscénariste du projet, illustrent quant à eux brillamment le récit, entre hyperréalisme et fantastique.
Une forme nouvelle
Il est plutôt dommage que Costumes nationaux – une création ludique et décomplexée, farouchement libre – n’ait pas trouvé la place qui lui revient sur le marché de l’édition québécoise. Le projet est pourtant un exemple éloquent des possibilités du web et de l’imprimé, de la symbiose nécessaire entre les mots et leur mise en forme, et de notre capacité, au Québec, à fabriquer des publications enthousiasmantes jusqu’au bout des doigts.