Émilie Granjon a rencontré MissPixels, Sven et Erik Beck, artistes et fondateurs du regroupement d’artistes Montréal Art Mobile.

Émilie Granjon Qu’est-ce que l’Art Mobile ?

MissPixels – L’Art Mobile est un courant qui réunit l’ensemble des œuvres artistiques (photo, vidéo, illustration, musique) faites à partir d’un appareil mobile (iPhone, iPad, Androïd, Galaxy, etc.). Ce qui est exigé pour se nommer comme ça, c’est que l’œuvre soit éditée sur l’appareil mobile avant d’être diffusée.

Sven [parlant de la photo] – Avec les appareils mobiles, la prise de vue est simple et instantanée. Nous avons des applications, des Photoshop morcelés, qui permettent de transformer l’image. Sur le plan technique, le travail se fait par accumulation d’effets d’application, donc de couches : chaque fois que j’utilise une application, je sauve­garde mon image, avant de la retravailler avec une autre. Les applications fonctionnent comme des poches d’outils que l’on peut utiliser dans n’importe quel endroit et à n’importe quel moment de la journée.

La révolution de l’Art Mobile n’est pas uniquement dans sa fabrication, mais aussi dans sa diffusion instantanée sur Instagram, Flickr ou les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.).

Depuis quand ce courant existe-t-il ?

MP : Au départ, cela ne s’appelait pas « Art Mobile » mais « Iphoneographie ». Ce courant est né avec l’arrivée du premier iPhone en 2007. Depuis un an, avec le développement de tous les autres appareils de téléphonie mobile, on préfère parler d’« Art Mobile ».

Erik Beck : En effet, ce courant est apparu en 2008 sur la Côte Ouest (San Diego, Los Angeles), près des quartiers généraux d’Apple ; cette compagnie a toujours été proche des créateurs en musique, en graphisme ou en art. On observe une esthétique, une facture très caractéristique du style Côte Ouest qui s’apparente au « collage », avec des surimpositions et des titres poétiques. Le courant s’est propulsé vers l’autre pôle géographique qui est la Côte Est, principalement à New York. Là-bas, on a vu naître un autre style découlant directement de la « street photography ». Puis, c’est venu par bribes en Europe avec quelques figures marquantes comme Carlein Van Der Beek en Hollande qui a un background de peintre. Rapidement, l’Espagne s’est intéressée à ce courant. Depuis trois ans, l’organisme Eyephonography a d’ailleurs organisé plusieurs expositions dans des institutions muséales. À Montréal, et au Québec, ce courant n’est pas très connu.

MP : Au Canada, je suis une des pionnières. J’ai commencé en 2009 me pensant un peu seule à faire ce genre de production artistique. Puis, j’ai fait des recherches sur le Web pour savoir qui autour de moi avait une pratique similaire. J’ai trouvé quelques personnes aux États-Unis, en Europe, mais très peu au Canada et, à Montréal, aucune.

EB : MissPixels, Sven et moi sommes consi­dérés comme des précurseurs. Tout est à faire. C’est surprenant dans une ville très dynamique, à l’affût des nouveaux médiums. Tant mieux pour nous si l’on peut poser les balises de cela. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’intérêt, les mentalités changent de plus en plus.

Vous disiez que les applications fonctionnent comme des Photoshop morcelés. En quoi ce travail diffère-t-il de Photoshop ?

S : On retrouve en partie Photoshop dans plusieurs applications, mais pas de manière aussi développée. Bien sûr, il y a des corrections de base comme le contraste, la luminosité, la saturation, etc., mais en parallèle, de nouvelles applications sont apparues qui permettent par exemple de déformer l’image, de passer de la figuration à l’abstraction en révélant des matières et des textures spécifiques. Ce travail, Photoshop ne le permet pas (sauf avec des pluggins spécifiques). Aussi, sur l’appareil mobile, l’application est construite user friendly, il faut qu’elle soit simple à utiliser. On peut faire des opérations complexes en les additionnant, les multipliant, les mélangeant. C’est la somme de petites choses simples qui donne un travail beaucoup plus complexe.

MP : En plus, le travail de couche de ces applications est pensé différemment de celui de Photoshop. Ce qui rend les choses plus complexes, c’est qu’on n’a pas un contrôle total comme avec Photoshop. On ne peut pas toujours prédire comment l’image va réagir à telle ou telle application. Parfois, une application ne fonctionne pas avec une image, donc je dois trouver une autre solution. C’est toujours un défi. Il y a une part d’inconnu qui rend le médium fascinant.

EB : Aussi, le fait de ne pas utiliser la souris et d’être en rapport tactile avec l’écran modifie le rapport à l’image et notre action sur elle. Le toucher n’est pas toujours précis, cela crée des accidents. Parfois, l’accident produit quelque chose qu’on n’aurait jamais eu avec un stylet ou la souris. En réalité, c’est une pratique plus accidentelle. Il y a plus d’imprévus, et j’aime travailler avec cette contrainte.

Beaucoup de personnes travaillent leur photo avec Instagram, ce qui ne veut pas dire qu’elles font de l’art pour autant.

S : C’est important de faire la distinction entre le hobby et la démarche artistique. Ce n’est pas parce que l’on prend une photo, que l’on met un filtre disponible sur Instagram, look seventies vintage, que l’on est un artiste.

EB : Il y a une différence entre quelqu’un qui va découvrir le côté créatif avec les milliers de possibilités que lui offrent les applications et un photographe qui a une démarche artistique et qui utilise cet outil (et les applications) pour créer une œuvre.

Les modes de diffusion sont variés : surtout le Web (avec les réseaux sociaux et autres plateformes de diffusion), mais aussi les galeries d’art. Quel est l’accueil réservé à l’Art Mobile dans les galeries et les musées ?

MP : On a fracassé des portes l’année passée avec l’expo au Belgo en février 2012. On a mis un pied dans ce réseau, mais avant ça, c’était très difficile. J’étais un peu considérée comme quelqu’un qui avait un simple hobby, je n’étais pas prise au sérieux. Ce que je viens de dire s’applique au Québec, parce qu’en Europe il n’y avait aucun problème d’acceptation et de reconnaissance de mon travail dans les galeries. J’y étais déjà considérée comme une artiste. Grâce à l’exposition au Belgo en 2012, il y a eu un intérêt de la part du milieu muséal et de celui des médias. Les gens se sont dit : « Oh ok, ce n’est pas juste une image diffusée sur Instagram ! Il y a une réelle réflexion artistique ». Cela a suscité un certain intérêt et cela a démontré le sérieux de notre démarche ; ce n’est pas un simple hobby destiné à la diffusion sur les réseaux sociaux.

Est-ce que vous pouvez me parler du regroupement Montréal Mobile Art ?

EB : Grâce au MAM, nous avons voulu réunir différents artistes associés à ce courant. Nous trois faisons de la photographie, mais nous voulons aussi découvrir des artistes qui interviennent autant en musique, en vidéo, etc., et créer un engouement en organisant des week-ends thématiques, et pourquoi pas, créer le premier festival d’Art Mobile à Montréal.

S : MAM est un regroupement d’artistes fondé par MissPixels, Erik Beck et moi-même qui a une volonté pédagogique (on explique par exemple ce qu’est l’Art Mobile grâce à nos conférences) et qui est aussi rassembleur, puisqu’on est à la recherche d’artistes qui pratiquent la photo, la vidéo, la musique, ou autres, et qui, comme nous, sont noyés dans les médias sociaux alors qu’ils ont une vraie démarche artistique. On veut aider les artistes dans ce domaine à diffuser leur travail. On veut amener ce médium vers les institutions muséales. Cette démarche, nous l’avons à titre personnel, mais là on veut le faire en ouvrant les frontières, puisqu’il ne s’agira pas juste de photo. Donc, cela nous permettra de voir ce qui se fait dans ces domaines qui ne sont pas les nôtres. Essayons de créer une émulation autour de l’Art Mobile !

Quel est l’avenir de l’Art Mobile ?

S : C’est peut-être de changer nos habitudes dans un monde informatique. Je pense que les stations informatiques vont encore évoluer. On prendra de moins en moins la souris… on sera davantage dans un rapport tactile.

MP : En effet, on va transporter nos ordinateurs de table dans nos mains. On va se trouver avec un appareil numérique, dont la qualité pourra être d’aussi bonne définition que ce qu’on a présentement. Il y a encore un espace entre les deux, mais il va s’effacer.

EB : À mon avis, il est précaire. Non par crainte que les gens cessent d’utiliser ce médium comme outil, mais parce que je pense que cela va se diluer dans d’autres médiums pour faire du mix média. J’aimerais que l’on arrête de poser la question « est-ce que tu as fait ça avec ton téléphone ? », pour ne plus parler que de l’œuvre.

ÉVÉNEMENTS À VENIR

Exposition Pixels Fossiles de MissPixels au Centre d’art Rotary de La Sarre (Qc) du 19 septembre au 13 octobre 2013.

Week-end d’Art Mobile en collaboration avec le Musée des beaux-arts de Sherbrooke les 21 et 22 septembre 2013 : conférences, promenades numériques et ateliers animés par le MAM.

Erik Beck signe la facture visuelle de Vulgus HTML au Théâtre Saint-Léonard de Sherbrooke du 25 octobre au 9 novembre 2013  par la troupe Turcs gobeurs d’opium.