Pierre Lassonde aime beaucoup les paysages, surtout lorsque des personnages viennent les animer. Il aime percevoir dans les peintures abstraites des transpositions de paysages. Voilà ce dont témoigne l’exposition Passion privée.

Passion privée. Coiffant une sélection de la collection personnelle de Pierre Lassonde1, président du conseil d’administration du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) et principal mécène pour son nouveau pavillon, le titre de cette exposition est pleinement justifié, puisqu’il reflète bien l’esprit de cette collection.

Au Musée, l’agencement des salles évoque la résidence du collectionneur. Ainsi, l’on passe au salon avec un groupe de paysages d’hiver répartis de la même manière que chez M. Lassonde. Autre salle : nous voici à table en compagnie de natures mortes de Dallaire et Cosgrove. Du coup, l’expérience même du visiteur s’en trouve changée.

« Nous voulions amener le Musée à s’adapter à la collection privée », explique Anne-Marie Bouchard, conservatrice de l’art moderne du MNABQ et commissaire de l’exposition. Contrairement à l’usage muséologique, son accrochage ne s’inspire en rien de la succession des mouvements qui marquent l’art canadien et québécois. La liberté de cette approche et l’absence de prérogatives favorisent des juxtapositions inédites. L’élan vigoureux d’un Marc-Aurèle Fortin se conjugue aux emportements d’une abstraction de Charles Gagnon. Des grands éclats de blanc se font le dénominateur commun entre les compositions de Riopelle ou de Borduas et des paysagistes plus traditionnels dont le pinceau s’exerce à traduire différentes qualités de lumières hivernales. Ces libertés dans l’accrochage expliquent les clins d’œil qui jalonnent l’exposition. Chemin faisant, les ennemis d’hier se réconcilient : les automatistes voisinent avec Pellan ou Clarence Gagnon.

Pierre Lassonde commence jeune à collectionner l’art québécois : dès 1975. « Ma première paie a été consacrée à l’achat d’une œuvre d’art », affirme-t-il. À partir de 1998, il établit une étroite relation professionnelle avec le galeriste Jean-Pierre Valentin. Schématiquement, sa collection se distingue par deux grands axes. L’un concerne des « classiques » de l’art canadien et québécois souvent proches de l’impressionnisme dont ils adaptent les méthodes aux paysages canadiens : Suzor-Coté, Coburn, Morrice, Adrien Hébert. Un autre volet rejoint la peinture de l’après-guerre : Brandtner, Dallaire, Cosgrove, Lemieux et les véhémences de l’automatisme avec Gauvreau, Barbeau, Ferron, Mousseau, Leduc. Voici Jauran et, plus loin, de saisissants tableaux de Jean McEwen et Charles Gagnon.

Avec ses « juxtapositions un peu osées », selon Pierre Lassonde, l’exposition Passion privée fait donc fi de la chronologie et entrecroise, comme on le ferait « chez soi », une centaine d’œuvres de tous horizons, contemplées au quotidien.

Catalogue

Passion Privée. L’art moderne du Québec de la collection Pierre Lassonde présente pour la première fois au Canada la collection personnelle de l’homme d’affaires et philanthrope. La publication propose un panorama de l’art québécois de 1858 à 1973 à travers une centaine d’œuvres dont plusieurs œuvres majeures produites par des artistes emblématiques de la modernité. Offrant les plus récentes recherches sur l’art québécois de cette période, le catalogue réunit les textes de huit auteurs : Eve-Lyne Beaudry, Mario Béland, Anne-Marie Bouchard, Daniel Drouin, Bernard Lamarche, Sarah Mainguy, Anne-Élisabeth Vallée et René Viau. L’ouvrage de 256 pages et de 154 illustrations comprend 35 notes biographiques et 96 notices sur les œuvres exposées.

PASSION PRIVÉE. L’ART MODERNE DE LA COLLECTION PIERRE LASSONDE. Musée national des beaux-arts du Québec (Québec). Du 28 novembre 2015 au 23 mai 2016.

Commissaire : Anne-Marie Bouchard.

Catalogue sous la direction d’Anne Eschapasse

Artistes : Cornelius Krieghoff, Charles Huot, Henry Sandham, Joseph-Charles Franchère, Ozias Leduc, James Wilson Morrice, Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté, Helen McNicol, William Henry Clapp, Clarence Gagnon, Franklin Brownell, Maurice Cullen, Regina Seiden, Kathleen Moir Morris, Henrietta Mabel May, Albert Henry Robinson, Adrien Hébert, Peter Sheppard, Robert Pilot, Marc-Aurèle Fortin, Fritz Brandtner, Stanley Cosgrove, Jean Dallaire, Alfred Pellan, Paul-Émile Borduas, Fernand Leduc, Pierre Gauvreau, Jean-Paul Riopelle, Marcel Barbeau, Jean-Paul Mousseau, Marcelle Ferron, Jauran (Rodolphe de Repentigny), Charles Gagnon, Jean McEwen et Jean Paul Lemieux

(1) Pierre Lassonde, mécène et visionnaire, de Bernard Lévy, Vie des Arts, Printemps 2008, no. 210, p. 72-73.