« Contre tout abus de pouvoir » : c’est la déclaration qui apparaît à la page d’accueil du site Contemporating, plateforme proposant un système de notation sur les espaces d’art contemporain. Lancé en mai 2019 dans le cadre du festival Chromatic, Contemporating est le fruit d’une collaboration entre l’artiste torontois Jeremy Bailey (autoproclamé « le célèbre artiste des nouveaux médias ») et Art Contemporary Club (ACC), collectif de commissariat indépendant fondé à Montréal en 2017 par Raphaëlle Cormier et Juliette Marzano. Le site est accessible à toute personne désirant évaluer un ou des espaces d’art contemporain montréalais et laisser un commentaire. Pour le moment, il est uniquement possible d’évaluer des lieux situés à Montréal – et Contemporating reconnaît que ces endroits occupent des territoires non cédés. Parmi la soixantaine de lieux répertoriés, mentionnons entre autres le Musée d’art contemporain, la Fonderie Darling, l’Arsenal art contemporain et la Galerie Antoine Ertaskiran.

Selon un barème allant de zéro à cinq points, l’utilisateur est convié à évaluer l’espace de son choix en fonction des dix critères d’évaluation suivants : accessibilité, acceptation, décentralisation, décolonisation, diversité, équité, horizontalité, intersectionnalité, transparence, transversalité. Chacun de ces critères fait l’objet d’une définition approfondie dans la section « Directives d’évaluation » du site, basée sur un manifeste rédigé par ACC en guise d’introduction, qui éclaire la question centrale de cette initiative, soit que signifie être contemporain ? Selon les membres du collectif, un espace d’art contemporain aujourd’hui est un espace inclusif et sécuritaire. Ces axes de notation/réflexion ont donc été établis de façon à ce que leur atteinte optimale traduise le degré de contemporanéité d’un endroit.

Par la diffusion des résultats d’évaluation et des commentaires, l’interaction engendrée sur la plateforme a pour but de révéler les lieux d’art soucieux des enjeux d’équité, de diversité et d’inclusion. Elle permet également de mettre en lumière les limites oppressantes et normatives du monde de l’art en place, souvent invisibles dans la sphère publique. En prenant part à la vie de Contemporating, les participants autant que les témoins sont ainsi invités à s’interroger sur les paradigmes qui régissent le milieu de l’art. En d’autres mots, le contenu produit sur le site favorise une évolution du modèle établi par sa remise en question, car il permet à des agents du monde de l’art qui ne sont pas dans une situation d’autorité immédiate de donner leur opinion, tout en étant entendus par leurs pairs.

Tel que le stipule son site, « ACC conçoit l’Internet comme un espace alternatif permettant de nouveaux dialogues et possibilités pour les communautés et les artistes underground ». Contrairement aux systèmes d’évaluation mis à la disposition des espaces d’art via Facebook, Google ou même Tripadvisor, Contemporating s’étend au-delà de la relation primaire du commerçant/client propre à ces sites. En effet, les créateurs de la plateforme, en étant eux-mêmes des acteurs du milieu de l’art et en se référant à un langage précis, sortent du modèle préfabriqué des réseaux sociaux grand public. En plus de s’adresser aux visiteurs, ils interpellent différents intervenants du monde de l’art (artistes, employés et autres), figures qui ne seraient pas d’emblée visées par un système de notation fondé essentiellement sur des critères de satisfaction commerciaux. Il reste qu’afin de produire un effet réel sur les paradigmes du monde de l’art en place, comme cherche à le faire Contemporating, l’outil gagnerait à être davantage connu et utilisé de façon plus fréquente.