De l’art du mouvement
Le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein du Musée des beaux-arts de Montréal
Trois ans et demi tout juste, depuis l’annonce le 3 mai 2013 du nom de l’équipe lauréate du Concours international d’architecture, soit le consortium Atelier TAG et Jodoin Lamarre Pratte architectes, jusqu’au jour de l’inauguration, le 4 novembre 2016, voilà le temps qu’il aura fallu à cette équipe pour dessiner et construire le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein, et au Musée pour concevoir la fabuleuse exposition qui s’y tient.
Certes, vu de l’extérieur, le bâtiment que vous regardez semble stable, du moins cristallisé dans son élan, articulant chacun de ses volumes selon une trajectoire qui lui est propre. Doit-on parler d’une rotation autour d’un axe ? Ou d’une révolution autour non pas d’un astre, mais d’un autre édifice dont il deviendrait le satellite ? Ou bien s’agit-il plutôt d’un déplacement horizontal vers les autres pavillons du Musée, ou encore vers le mont Royal ? Allez savoir !
Le cisaillement des volumes extérieurs donne l’impression d’un équilibre précaire. Il exerce une force d’attraction telle que résister paraît tout à fait vain. Plusieurs facteurs favorisent cette perception. Indéniablement, les alignements respectifs des trois volumes s’arriment chacun au plan qui l’identifie le mieux.
En premier lieu, le hall d’entrée qui s’avance de façon parallèle aux façades existantes, suivi du volume de la base qui s’inscrit en angle et canalise à la fois la dénivellation de la rue et la future zone d’accueil des groupes de visiteurs, le tout rattrapé par le plan du volume en surplomb, qui se désaxe, en sens inverse cette fois, jusqu’à s’inscrire en saillie.
Ensuite, la décision prise d’ajouter un étage supplémentaire au second volume, ce qui en accentue la géométrie et, de ce fait, la sensation de mouvement, presque de scission, de détachement.
Enfin, l’asymétrie de l’étage qui s’affine et se dissocie de sa base, et qui confère le sentiment que le volume du dessus culbute en entier, laissant supposer que son axe de rotation est vertical… ou pas !
L’ascension
Ça y est, la magie opère. Elle opère à un point tel que la perception de ce tournoiement vous happe dans une spirale à l’intérieur. Et vous voilà pris en orbite en un mouvement déambulatoire. Non pas autour de l’abside d’une église, non, mais contournant le grand escalier vers son amorce. Premier changement d’échelle : une fois entré, l’escalier vous apparaît dans sa totalité, défini à chaque palier par la géométrie de trompe angulaire, d’encorbellement à arêtes.
Commence alors le circuit intime du visiteur. Il lui revient dès lors de synchroniser son ascension de la base au volume supérieur, qui s’inscrit en décalage, en suivant la stéréotomie, admirablement maîtrisée, que scande l’escalier ostentatoire. L’ascension se poursuit jusqu’à la proue en porte-à-faux, là où le volume en surplomb avance dans le vide, sans structure apparente, et même au-delà, où la dernière volée de marches semble suspendue en apesanteur ou tenue sans doute par des tirants dissimulés.
À l’endroit de cette nouvelle articulation, les marches sont couplées de marches de dimension double devenant des bancs, et le tout est inondé de lumière naturelle. La proue en porte-à-faux offre une vue spectaculaire, au-dehors, vers la ville et le mont Royal, par-delà le rythme des brise-soleil qui se dissocient en deux proportions du nombre d’or.
En fait, l’attrait va inévitablement en grandissant au cours de l’ascension, et les matériaux bruts accentuent la tectonique des espaces.
Le bois, utilisé comme fini mural, recouvre également l’endos des volées rampantes de l’escalier, ainsi que ses trompes, arêtes et encorbellements. Puis, en même temps que le changement de volume, il en vient finalement à revêtir l’escalier lui-même, autant ses marches que ses bancs, confirmant ainsi l’aspect « cousu main » de toutes les pièces qui le composent. Deuxième changement d’échelle : si, au cours de l’ascension du premier volume, l’escalier peut être perçu en tant que sculpture dans un musée où l’on expose des œuvres, les proportions sont renversées dans l’ascension du second volume où le visiteur devient objet dans l’espace englobant de l’escalier. Tout comme le volume dont le mouvement a été capturé, le visiteur glisse à son tour dans un espace-temps qui altère toute notion d’échelle qu’il croit détenir. Le voici devenu libre de repère, de contrainte et d’idée préconçue, prêt à voguer sans retenue et à céder à tous les enchantements.
Le béton participe également à la géométrie ascendante. Il se déploie, depuis la base au niveau inférieur, en paroi monolithique d’abord, puis sous forme de piliers au rez-de-chaussée, pour apparaître ensuite en colonnes de double hauteur, à l’endroit même du pivot.
Pour tous les publics
Si le Musée des beaux-arts de Montréal reçoit près d’un million de visiteurs annuellement, fort heureusement tout indique que cette ferveur ne cessera pas de croître. Après avoir investi depuis 2011 le Pavillon Claire et Marc Bourgie, pour y déployer les œuvres d’art canadien et québécois, le besoin d’un nouvel endroit pour exposer la collection internationale est devenu manifeste. Et lorsqu’en 2012, les regrettés Michal et Renata Hornstein, donateurs et bienfaiteurs vénérés du MBAM, ajoutent 77 œuvres des maîtres anciens à la collection internationale déjà bien étoffée, la conjoncture est en place afin que le MBAM se lance, en 2013, dans l’aventure du concours pour un nouveau Pavillon.
Les quelque 800 œuvres de la collection internationale du MBAM sont exposées dans les différentes galeries du Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein, comptant 800m² par niveau. Elles vont du Moyen Âge (niveau 4) jusqu’au XXIe siècle (niveau 1). Les œuvres du siècle d’or flamand (XVIIe siècle) sont celles qui ont été données pour la plupart par les Hornstein (niveau 3).
Parallèlement, le véritable engouement qu’a connu l’Atelier international d’éducation et d’art-thérapie Michel de la Chenelière ne s’est pas démenti depuis son ouverture, en 2012. Grâce à un nouveau don exceptionnel de la part de ce mécène, l’appel à élargir les programmes offerts s’est concrétisé et cet apport profitera aux milliers de jeunes, familles et personnes âgées qui y participent chaque année. L’Atelier Michel de la Chenelière offrira maintenant de nouvelles activités, et même une garderie, tant au rez-de-chaussée qu’au niveau inférieur du nouveau Pavillon. L’aménagement destiné aux enfants et aux jeunes a été joyeusement agrémenté par les muralistes des collectifs MU et en Masse.
Article réalisé d’après les propos recueillis auprès des architectes Katsuhiro Yamazaki, Atelier TAG et Nicolas Ranger, Jodoin Lamarre Pratte architectes.