Après 35 ans à la barre du Festival international du film sur l’art (FIFA), René Rozon tirait sa révérence à l’hiver 2016. À la suite du bref intérim de Natalie McNeil, le FIFA présentait en janvier dernier son nouveau directeur : Philippe U. Del Drago. Nous l’avons rencontré pour discuter du passé, du présent et de l’avenir d’un festival dont la plus récente mouture affichait l’urgence d’une refonte en profondeur.

Marie Claude Mirandette — Philippe Del Drago, parlez-nous de votre parcours avant le FIFA.

Philippe Del Drago — Ma première formation est européenne. J’ai obtenu une maîtrise en administration à Barcelone, tout en fréquentant le conservatoire de musique. Puis, j’ai fait un stage en administration dans une compagnie de danse. Un jour, des vidéastes sont venus travailler avec les danseurs ; fasciné par leur travail, je me suis bientôt joint à leur collectif. Parallèlement, j’ai rédigé à Grenoble un doctorat sur l’anticipation du spectateur à l’égard d’un film, avant de m’inscrire à l’Université Columbia, à New York. Puis, il y a eu le 11 septembre… Mon visa allait expirer, je ne savais plus trop quoi faire. J’ai alors contacté un professeur des HEC dont je connaissais le travail ; il m’a invité à enseigner et à rejoindre un groupe de recherche à l’Université de Montréal. Depuis, je suis ici.

Ensuite, par souci d’hygiène intellectuelle, j’ai ressenti le besoin de sortir du milieu universitaire ; j’ai intégré l’équipe marketing du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CDT’A), ce qui m’a permis de plonger tête première dans la culture québécoise en côtoyant des acteurs, des metteurs en scène, des danseurs, des vidéastes aussi. J’y suis resté dix ans.

Vous avez fait des études en production cinématographique à l’INIS [Institut national de l’image et du son], non ?

Oui, tout en travaillant au CTD’A et en enseignant à l’université. Après l’INIS, je vivais caméra à la main, à faire des films, de la photographie. J’ai réalisé quelques missions pour des ONG consistant à photographier ou à filmer des réfugiés, des lieux naturels sacrés, etc. Je me suis beaucoup intéressé aux nouveaux médias et aux nouvelles technologies et j’ai été recruté comme directeur de création par le studio Normal. J’ai donc un profil artistique varié, doublé d’une formation et d’une pratique en administration. Puis, j’ai eu envie de me consacrer à une seule chose.

Pourquoi le FIFA et pas une institution spécialisée dans les technologies émergentes ?

C’est un festival où tous les arts sont représentés, et cet aspect protéiforme et multiculturel, c’est tout à fait moi. Je ne suis pas un expert du milieu artistique, encore moins un théoricien, mais j’ai des idées…

Justement, quelle est votre vision du festival ? Comment le renouveler dans le respect de ce qu’il est et de ceux qui y sont fidèles ?

Le désir de continuation est assez fort et si René Rozon est en retrait, nous restons en contact et il est toujours présent quand on a besoin de lui. Le FIFA est un festival unique, avec une identité affirmée ; personne ne remet en cause sa pertinence. Les questions que je soulève sont celles que tous les directeurs de festival de cinéma se posent : comment convaincre les gens de voir les films en salles, sur grand écran ? Je pense que plusieurs facteurs peuvent stimuler cela.

Étymologiquement, festival vient de fête, et une fête, ça se fait ensemble, dans un espace de socialisation. Le FIFA, c’est d’abord un lieu de rencontre et il faut décliner cela de diverses manières : avec des lieux de connexion (et non des rencontres professionnelles), des expériences filmiques (et non des séances). Avec le billet, le public devrait avoir accès à diverses choses : une rencontre classique avec des membres de l’équipe, un Q & A [période de questions] après ou, pourquoi pas, avant le film, des invités de multiples horizons, etc. Le FIFA est aussi un lieu d’inspiration qui nourrit notre expérience du monde, autant dans nos pratiques de création que comme être humain.

Diriger un festival est un processus de création – et c’est ce qui m’intéresse, le processus – que je ne peux pas concevoir assis dans un bureau.

Parlez-nous de votre équipe de programmation.

Nous avons recruté Jacinthe Brisebois, ancienne directrice des chaînes Explora et ARTV, et mis en place une équipe de programmation polyvalente et plurielle. L’époque où une personne au sommet de la pyramide, tel un dieu vivant, décidait de tout est révolue. On est dans un écosystème où chacun a sa place et contribue à un collectif. Si bien que lorsque nous avons annoncé l’arrivée de Jacinthe, nous avons par la même occasion présenté toute l’équipe : Nicole Gingras au volet expérimental, Coralie Beaudet aux œuvres interactives non linéaires, Camille Delsart aux ateliers, rencontres et conférences, et Maria Térésia Mari au « festival à l’année » et à FIFA-Éducation.

Et comment se fait cette programmation ?

Le critère premier est celui de l’excellence; même si nous avons un horaire à remplir, nous gardons à l’esprit cette idée de qualité et d’équilibre entre les approches, les univers, les langages, les pays, etc. L’hétérogénéité me plaît et j’ai envie de montrer, de partager ça avec le public, les publics. Ma priorité, c’est que les salles soient pleines. L’an dernier, nous avons augmenté le pourcentage de fréquentation par séance…

La programmation allégée, avec moins de séances en matinée et en semaine, a certainement contribué à concentrer la fréquentation sur quelques plages horaires, non ?

Oui, mais il faut faire avec le public, sa disponibilité et sa diversité, en gardant à l’esprit que c’est pour lui d’abord qu’on fait un festival. J’aimerais, par exemple, présenter quelques films consensuels si cela permet de multiplier les publics. Je conçois le FIFA comme une grande table où tout le monde est bienvenu, parce que l’art et la culture, ça se partage. Le FIFA est un passeur, un relayeur d’art ; dans cette optique, la soirée est désormais accessible à tous.

Cette année, nous avons ajouté une section pour les biopics [films biographiques] classiques. Nous allons revoir les activités du marché, valoriser des soirées de « connexions » ouvertes au public autant qu’aux professionnels. Nous sommes aussi très présents dans la collectivité, parce que c’est important de maintenir et de raffermir les liens avec les partenaires municipaux, provinciaux et nationaux, que ce soit des créateurs, des producteurs ou des diffuseurs. Et d’en trouver de nouveaux.

Comme la programmation au théâtre Outremont récemment annoncée ?

Oui, et plusieurs autres, dont le Musée McCord. Au terme du cycle en cours, nous aurons présenté une centaine de projections du « festival à l’année », ce qui est quasiment autant que durant le festival lui-même. En 2020, nous espérons avoir une antenne à Québec, plus élaborée que le mini-FIFA actuel, et une autre à Toronto. Nous échafaudons aussi un partenariat avec Momenta – Biennale de l’image et Dazibao pour stimuler le jeune commissariat dans le domaine du film d’art. Sans oublier un programme s’adressant aux nouveaux arrivants ayant une pratique filmique dans leur pays afin de leur permettre de réaliser un court métrage sur l’art.

Un genre de Wapikoni mobile artistique pour nouveaux arrivants ?

En quelque sorte. Il y aura des activités visant à mettre les jeunes en contact avec l’art, notamment des ateliers de films en stop motion [animation image par image] inspirés de films sur l’art ou de films d’art utilisant cette technique. Pour les ados, le Centre Pompidou et nous ébauchons un atelier de danse et cinéma. Un jeune chorégraphe supervisera des jeunes qui se filmeront en train de danser. Nous aimerions en faire une activité intergénérationnelle afin d’exposer les publics à des expériences concrètes.

D’autres projets avec des partenaires étrangers ?

Nous avons donné une carte blanche d’une journée au Louvre : le dimanche 24 mars, le Musée programmera une série de films sur l’art. Nous avons aussi repéré sur le Web quelques boîtes et artistes avec une façon de faire « out of the box » ; nous les avons invités à parler de leur démarche dans le cadre de rencontres publiques. Dans la même optique d’accessibilité, nous présenterons dans l’Espace culturel Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts un « bar de réalité virtuelle », soit une sélection de films du Centre Phi portant sur l’art. Ce sera l’occasion d’une médiation culturelle par des bénévoles, des amis du FIFA.

Un peu à la manière de la médiation par des non-professionnels du festival Art Souterrain ?

L’objectif est similaire. Depuis la dernière édition, nous avons signé une trentaine d’ententes avec de nouveaux partenaires pour mettre en place un écosystème inédit. Diriger un festival est un processus de création – et c’est ce qui m’intéresse, le processus – que je ne peux pas concevoir assis dans un bureau. La vision se dessine au contact du milieu. Et les bonnes idées peuvent venir de partout, de tous, ce qui n’est pas incompatible avec une orientation forte. Pour élaborer cette vision, il faut du temps, de l’espace, et regarder devant, sans faire table rase du passé. Évaluer clairement notre positionnement dans le paysage, l’économie et l’écologie du monde des arts aujourd’hui. Avec en ligne de mire, un objectif : équilibrer la programmation et les finances du FIFA pour son 40e anniversaire.

Ça vous laisse peu de temps, alors je ne vous retiendrai pas plus longtemps. Merci ! 

Le 37e Festival international du film sur l’art se déroulera du 19 au 31 mars 2019.