Déclaration du sculpteur Robert Roussil
Depuis plusieurs années je travaille à un projet d’habitation organique dans une certaine mesure, avec la collaboration d’ingénieurs, d’architectes et d’administrateurs. Je pars du principe de base nécessaire que la sculpture et l’architecture ne font qu’un. Pour moi, l’habitation a été la base essentielle du développement de l’individu. En effet, l’habitation constitue le milieu central dans lequel l’homme se développe et évolue tout le long de sa vie. Je considère l’habitation comme une base vitale, et, en tant que sculpteur, ma participation à un tel projet devient une chose essentielle. Considérant qu’historiquement le sculpteur, l’architecte et l’ingénieur étaient concernés par le même problème de structures dans l’espace, habitées ou non, ce qui aujourd’hui semble avoir glissé dans différentes directions, et considérant la sculpture au plein sens du mot, je tiens donc à remplir pleinement mon rôle qui n’est pas de jouer à l’architecte, à l’ingénieur ou au décorateur, mais plutôt de bien remplir le rôle historique du sculpteur dans une société.
Vie des Arts – Robert Roussil, vous êtes sculpteur; pourquoi faites-vous de l’architecture?
Robert Roussil – Me demander pourquoi je fais de l’architecture, c’est comme me demander pourquoi je fais de la sculpture. Je crois que de tout temps le sculpteur, l’architecte ou l’ingénieur, enfin ceux qui travaillent des formes dans l’espace, ont fait un ensemble sans discrimination, et je crois comme sculpteur, et me sentant un sculpteur qui fait partie de cette classe historique des hommes qui s’expriment dans l’espace, je me sens même un devoir social de toucher l’habitation de l’homme, son abri, qui est à la base de son existence.
VDA – Vous utilisez surtout deux formes, c’est-à-dire le cube et la sphère. Pourquoi avez-vous choisi ces formes-là en particulier?
R. R. – Quoique j’aie fait cela instinctivement, j’ai quand même essayé de rechercher ce qui m’avait amené à trouver cela, et finalement je me suis aperçu que très anciennement, enfin depuis très longtemps, le cube et la sphère représentent les côtés mâle et femelle de l’individu. Alors, je crois que c’est une géométrie très applicable pour son habitation.
VDA – Justement, il y a cet aspect de votre sculpture qui est dans l’esprit d’une certaine construction de l’avenir, c’est-à-dire que les sphères sont non seulement multipliables, mais transportables d’un endroit à l’autre . . .
R. R. – … d’un endroit à l’autre pour des besoins différents. Comme notre société aujourd’hui nous appelle à beaucoup de mouvement aussi bien dans le sens famille que société, c’est bon de penser à une habitation qui est très souple et très flexible dans le sens déménagement et installation.
VDA – Pour ce qui est des meubles, à ce moment-là, ils sont non seulement fonctionnels mais ils font partie de l’intérieur de la chose et sont comme une espèce de sculpture intérieure.
R. R. – Pour moi, l’ameublement c’est comme la main au bout d’un bras; une main par elle-même c’est un bel objet, même si on l’enlève de son corps, de son contexte, mais mettre un meuble dans une maison, pour moi, c’est à peu près comme se couper une main et la remplacer par une main artificielle. Moi, j’aime mieux ma vraie main. Ma vraie main dans une maison, c’est que tout meuble doit faire partie d’un ensemble. Ce n’est pas une intégration, c’est un objet complet. Je n’essaye pas d’intégrer des meubles dans une maison, car une maison doit contenir un ameublement comme la main fait partie d’un bras et la tête fait partie d’un tronc. C’est dans cet esprit-là que j’amène cette solution.
VDA – Ca vous oblige aussi à repenser un certain nombre de choses comme, par exemple, les fenêtres. Je pense que vous avez conçu des fenêtres tout à fait spéciales?
R. R. – Une fenêtre, je conçois ça comme un oeil. Alors, nécessairement une fenêtre doit s’ouvrir exactement dans le même mouvement qu’un oeil. Là. je fais un diaphragme d’une manipulation très facile, avec des leviers que vous levez et baissez pour que l’oeil, c’est-à-dire la fenêtre, se ferme à volonté pour avoir de la lumière. Ce n’est plus une fenêtre à battants ou à glissières avec des volets ou des stores vénitiens. Cette fenêtre est faite d’éléments absolument étanches qui se referment l’un sur l’autre, qui peuvent être de différentes couleurs, de différents matériaux, selon l’emplacement ou le goût de l’individu. Il y a beaucoup de goûts personnels dans le fond qui vont rentrer là-dedans.
VDA – Comment allez-vous faire ça, justement; comment allez-vous personnaliser ces sphères habitables? Va-t-il falloir que vous conceviez plusieurs sortes de meubles ou une seule sorte? Est-ce qu’il y aura des colorations différentes à l’intérieur? Comment allez-vous varier ça pour que ce ne soit pas monotone?
R. R. – Je pense qu’au point de vue matériaux, il y aura nécessairement un choix. Enfin, le choix premier, je crois, vient de la fonction même. Pour moi, on doit choisir les matériaux d’une salle de bain en rapport avec notre côté hygiénique; autrement dit, on ne fait pas une salle de bain en papier mâché. Une salle à manger, une chambre à coucher, c’est une question de matériaux, mais il devient inévitable de choisir différentes couleurs ou matériaux qui correspondent à ces besoins-là. Il n’y a pas de raison d’utiliser une seule couleur comme il n’y a pas de raison de faire toutes les
voitures bleues.
VDA – Mais, est-ce que vous voyez une possibilité d’exploitation industrielle?
R. R. – Ca ne peut qu’être exploité industriellement; j’ai la possibilité de le faire artisanalement, mais c’est absolument une perte de temps. J’ai besoin d’une industrie qui a l’équipement et les matériaux nécessaires, et c’est la seule possibilité. En plus, il faut que ça soit fait économiquement, et c’est seulement l’industrie qui peut préfabriquer; il n’y a pas d’autre
solution.
VDA – Est-ce que vous entrevoyez à ce moment-là une collaboration possible entre vous et un architecte, un ingénieur et d’autres techniciens, par exemple?
R. R. – C’est obligatoire; c’est déjà fait. Ca sera encore poussé beaucoup plus loin. D’ailleurs, d’aucune manière je ne veux devenir constructeur, ingénieur ou architecte, mais j’ai des idées. J’ai une qualité qui me permet de concevoir l’habitation, et je la conçois à ma manière. Cependant, j’ai besoin de gens qui ont des connaissances que je n’ai pas, y compris des architectes, des ingénieurs et des urbanistes, et beaucoup d’autres gens encore.
VDA – Est-ce que vos sculptures habitables seraient économiques? Autrement dit, est-ce que ce serait possible et rentable d’en construire pour le public en général.
R. R. – Je vais essayer d’expliquer cela en partant de mes premières expériences d’habitations, qui datent déjà, je crois, de près de dix ans. A ce moment-là, je voulais faire une habitation unique, en partant de la sculpture-objet, et finalement en étudiant de plus en plus ce système d’habitation personnalisée, je me suis aperçu que je faisais de la fantaisie d’une manière artisanale, soit une maison pour quelqu’un qui a les moyens de se payer une fantaisie. C’est pour cela que graduellement, après mûre réflexion, je me suis dit que l’habitation c’est une affaire qui touche tout le monde. Je crois que l’habitation que je présente aujourd’hui est une solution globale et que la maison devrait coûter la moitié moins cher que ce qu’elle coûte présentement par le fait qu’elle est standardisée, que les problèmes d’ameublement sont résolus à l’intérieur avec des matériaux qui sont très contemporains, autrement dit qui peuvent être produits d’une manière très économique. Je n’ai pas la prétention de résoudre le problème de l’habitation mais ma participation personnelle consiste à présenter une formule de base pas seulement moins chère, mais humaine en plus.
Propos de Robert Roussil recueillis par Gilles Hénault
Directeur du Musée d’art contemporain