Pour une première fois au Québec, un Autochtone enseigne l’histoire de l’art autochtone dans une université francophone. L’Université du Québec à Montréal (UQAM) accueille dans ses rangs l’artiste et sociologue de l’art wendat Guy Sioui Durand à la session d’hiver 2019. Cette opportunité lui permettra de partager la vision autochtone avec un public de non-initiés. Rencontre.

En ce samedi matin, la Grande Bibliothèque du Québec (BAnQ) à Montréal est encore peu achalandée, mais Guy Sioui Durand y est, malgré la pluie et les kilomètres de route qui le séparent de Québec, où il vit. Ce docteur en sociologie est également commissaire d’exposition indépendant, critique et artiste de la performance.

Depuis 2012, il donne le cours « Initiation à l’art autochtone moderne et contemporain » au collège Kiuna, qu’il qualifie de « porte d’entrée pour comprendre le monde ».

Kiuna est le seul établissement d’enseignement postsecondaire autochtone au Québec. Situé dans la communauté abénaquise d’Odanak, près de Nicolet, Kiuna n’est pas exclusivement réservé aux élèves issus des Premières Nations, mais ceux-ci forment actuellement la totalité de sa clientèle. « En moins de six ans, Kiuna est devenu une référence », déclare Guy Sioui Durand.

Sa formation de sociologue transparaît dans son discours lorsqu’il parle de son enseignement. « Je crois sincèrement qu’il y a un lien entre l’art et la société, ses mouvements politiques, sociaux et culturels », dit-il. Il ponctue son propos d’exemples, en soulignant entre autres la présence grandissante et l’apport considérable des femmes autochtones au milieu artistique. « Il n’est plus seulement question des femmes assassinées ou disparues, tient-il à préciser. Les femmes prennent aussi leur place. » Guy Sioui Durand mentionne également le mouvement de revitalisation des langues autochtones : « La revitalisation, c’est quoi ? C’est nommer les choses dans nos mots, avec notre vision et notre logique. »

Guy Sioui Durand

Le cours qu’il a construit à Kiuna est basé sur un certain idéal précolonial. Ce cours débute par la présentation d’une « vision d’avant 1492 ». Pour l’enseignant, il est essentiel que les Autochtones retournent à leurs manières de penser et les intègrent dans un contexte contemporain. Ce n’est pas pour autant un cours de folklore ou d’anthropologie axé sur le passé, assure-t-il : « J’offre une perspective différente sur le temps. »

La vision autochtone au sein des établissements d’enseignement québécois

La particularité de son enseignement à Kiuna est qu’il s’adresse à un public de jeunes « initiés » autochtones qui ont déjà des connaissances sur les pratiques culturelles des Premières Nations. M. Sioui Durand se demande comment il saura s’intégrer à l’UQAM, où il devra s’adresser à un public hétérogène. « J’imagine que je verrai rendu là », dit-il en riant un peu tout en affichant une attitude aux antipodes de la nervosité. Une chose est toutefois certaine pour lui : la vision qu’il a du rôle d’enseignant ne changera pas. M. Sioui Durand ne voit pas ce rôle comme investi d’une position d’autorité et de supériorité. Il souhaite plutôt établir un rapport égalitaire avec les étudiants. « Les jeunes m’apportent autant que je peux leur apporter », soutient-il.

De son propre aveu, Guy Sioui Durand a une aversion maladive des cadres hiérarchiques, une position qui n’est pas étrangère à la manière dont les Autochtones conçoivent les rapports sociaux. Selon lui, l’intégration des savoirs et des pratiques autochtones peut être soumise à diverses contraintes et limitée dans les contextes institutionnels occidentaux. « J’essaie de développer une nouvelle pensée théorique, dit-il. Il n’est pas question d’inscrire le contenu autochtone dans les catégories et les critères d’analyse propres à l’histoire de l’art officielle. » Il pense néanmoins que l’université peut être un bon lieu de discussion pour aller vers ce nouveau genre de modèle. « Je m’inscris dans les cadres pédagogiques institutionnels, reconnaît-il. Bien sûr qu’il y a des évaluations et des notes à rendre, j’en suis conscient. »

Sa formation de sociologue transparaît dans le discours de Guy Sioui Durand lorsqu’il parle de son enseignement. « Je crois sincèrement qu’il y a un lien entre l’art et la société, ses mouvements politiques, sociaux et culturels », dit-il.

Guy Sioui Durand est d’accord pour dire qu’il y a de plus en plus d’espace accordé aux gens issus des Premières Nations dans les établissements culturels et d’enseignements québécois, comme le prouve l’invitation que lui a faite l’UQAM. « Il y a des opportunités qui s’ouvrent tout à coup très vite et un peu partout pour nos jeunes », constate-t-il.

M. Sioui Durand n’entretient cependant pas de grandes illusions. Il se dit conscient que cette soudaine et nouvelle ouverture est dans l’air du temps. « Il faut voir l’ouverture des institutions dominantes comme un signe de changement, mais aussi de défis », croit-il. Il n’est pas facile selon lui de concilier les pratiques autochtones et les pratiques occidentales, car cela demande une ouverture et une volonté de compromis qui ne sont pas toujours au rendez-vous.

Le « nécessaire réensauvagement »

Le mot « décolonisation » fait partie du discours de plus en plus d’activistes autochtones du Canada. Un exemple en est la récente parution en français de l’ouvrage Décoloniser le Canada, de l’activiste Arthur Manuel, issu de la nation Secwepemc, de Colombie-Britannique. Le concept de « décolonisation », dans ce contexte, ne réfère pas au processus d’émancipation des colonies face à leur métropole, mais plutôt à un changement dans les pratiques institutionnelles canadiennes encore fortement marquées par le colonialisme. La décolonisation demande notamment que l’État canadien s’engage à établir des rapports éthiques, d’égal à égal, avec les autochtones.

Guy Sioui Durand propose un moyen d’effectuer la décolonisation avec ce qu’il appelle le « nécessaire réensauvagement ». Le terme « réensauvagement » est habituellement utilisé dans un contexte écologique ou biologique, où il désigne la réintégration d’espèces disparues dans une région précise. Ici, il est plutôt question d’un retour aux racines mêmes de l’identité autochtone. M. Sioui Durand croit que les Autochtones doivent prendre le temps de revenir aux façons de faire précoloniales, à l’instar de ce que propose son enseignement au collège Kiuna, pour mieux se comprendre et ainsi mieux faire face au monde moderne. Pour Guy Sioui Durand, cette nouvelle réalité est incarnée par les jeunes qu’il côtoie à Kiuna ainsi que par la nouvelle génération d’artistes, tous de plus en plus conscients de leur territoire et ayant à cœur leur survie identitaire, culturelle et linguistique.