Karla McManus : pour aborder différemment la photographie de paysage au Canada
Chercheuse spécialisée en photographie, Karla McManus étudie les enjeux identitaires et environnementaux qui traversent le champ photographique, ciblant en particulier la photographie de paysage et son histoire récente. Elle puise dans de vastes bassins d’images créées par les artistes contemporains, commandées lors des missions photographiques sur le terrain ou dans des documents d’époque.
À la fois historique et actuelle, son approche l’amène à explorer des fonds d’archives spécifiques comme celui du Centre canadien de la photographie à Ottawa, ou des collections comme celle d’Artexte qui réunit à Montréal plus de 27 000 publications consacrées aux arts visuels. La chercheuse a exploré cette collection en 2017 lors d’une résidence, pour en faire par la suite la matière d’une exposition, Inside/Outside: Images du TERRITOIRE dans la collection d’Artexte.
Approches créatives, approches critiques
Pour Inside/Outside, Karla McManus rassemble une sélection de livres, de fichiers numériques, de documents imprimés ou photographiques qui sont autant de représentations dont les seules délimitations sont ce pays aussi vaste qu’un continent. Elle interpelle plusieurs approches créatives de lieux canadiens qui, tantôt artistiques tantôt documentaires, montrent que « ce n’est pas l’identité canadienne ni l’idée d’une nation canadienne qui relie ces œuvres les unes aux autres. Le liant entre elles est plutôt le cadre du colonialisme, un cadre qui influe fortement sur nos façons de voir le territoire, et, par extension, nos façons de le photographier1 ». Ainsi se dessine son approche qui refuse une « lecture traditionnelle de la photographie de paysage comme un véhicule neutre d’observation » et part en quête de ce qui « incarne le pouvoir positif qu’a l’art de cadrer et de recadrer les discours sur le territoire ».
Appartenance au territoire
Elle se tourne vers les ouvrages et les initiatives artistiques qui se placent en contrepoint des discours majoritaires et acquis historiquement. Karla McManus indique qu’ils alimentent une « dialectique de l’appartenance, une dialectique qui relève des réalités oppressives du colonialisme dans le Canada actuel ». À titre de chercheuse, elle pointe les éléments d’une histoire identitaire complexe toujours présente dans ces images. Ainsi en est-il de ce qui guide sa collecte au cœur de la collection d’Artexte : elle vise autant le sujet en lui-même, le paysage, que son usage collectif, révélateur d’une vision coloniale du territoire. La chercheuse nous invite à nous tenir à l’affût de notre usage personnel comme collectif des images qui nous entourent : « Un tel cadre nous rappelle qu’il faut, tant comme spectateurs que comme citoyens, tenir compte de tout ce que nous avons en commun, surtout nos objectifs partagés. »
Compenser des manquements
Karla McManus extrait des archives ce qui forme une relecture historique, un regard humoristique comme celui sur le tourisme, mais aussi un versant résolument critique des images. Elle veut redonner toute sa place aux multiples revendications de souveraineté autochtone ou à des affirmations politiques et écologistes qui ont lieu sur des territoires bien distincts, et les réunir pour révéler les « façons dont on s’est servi du territoire comme vecteur de violence et de dominance par le passé ». Ce qu’elle souligne, ce sont les enjeux cruciaux et les tensions qui persistent au cœur du paysage canadien actuel.
Karla McManus extrait des archives ce qui forme une relecture historique, un regard humoristique comme celui sur le tourisme, mais aussi un versant résolument critique des images.
Redonner sa place à l’invisible
À l’image du projet mené par Lee-Ann Martin en 2018, Résilience, Le Projet d’exposition nationale sur panneaux publicitaires2, qui se positionnait à l’inverse des célébrations officielles du 150e de la Confédération canadienne en 2018, Karla McManus veut aussi donner une voix à ces projets « qui explorent les absences et les absents du territoire – ses gardiens d’origine, ses animaux, ses communautés marginalisées et sous-représentées –, et qui cherchent à établir des lieux d’appartenance humaine et animale à l’intérieur des histoires que racontent ces derniers ».
Face à la consommation du paysage et aux approches historiques dominantes qui, si l’on se fie à Walter Benjamin, sont froides et empiriques, Karla McManus fait appel avec humilité à la notion d’empathie et, avec elle, à des stratégies artistiques qui permettront l’une après l’autre, l’une avec l’autre, une possible décolonisation du regard.
(1) Karla McManus. Dépliant d’exposition, Inside/Outside : Images du TERRITOIRE dans la collection d’Artexte. Montréal : Artexte, 2019. Toutes les citations du texte ont été tirées du dépliant.
(2) Ce projet de Lee-Ann Martin a été coproduit avec le Mentoring Artists for Women’s Art (MAWA, Winnipeg), en réponse à l’appel à l’action 79 du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation.