« La beauté du geste ». L’art de donner
Une part considérable de la collection du Musée d’art contemporain de Montréal est attribuable à des dons faits par des collectionneurs ou des artistes. À l’occasion des festivités de son 50e anniversaire, le MACM rend hommage à ses donateurs en exposant une sélection des œuvres qui font désormais partie du patrimoine public.
Marine Van Hoof – Pourquoi une exposition sur le don ?
Josée Bélisle – Sur cette question, nous avons déjà organisé plusieurs expositions, qui parlaient des acquisitions et des dons récents. Je pense par exemple à une exposition organisée par Paulette Gagnon, en 1989. Moi-même, cinq ans plus tard, j’ai organisé une exposition intitulée Dons 1989-1994. La Beauté du geste relève du même esprit. Même si les dons viennent s’inscrire dans la collection du Musée au même titre que les œuvres acquises par voie d’achat, nous avons constaté au fil des ans que la proportion d’œuvres données était de plus en plus importante. Une exposition réunissant 100 œuvres en 2011 comportait 40 dons. Dans l’exposition La Question de l’abstraction actuellement présentée, sur 106 œuvres, 54 ont été offertes au Musée. D’une manière globale, sur les 7 800 œuvres du Musée, 3 500 ont été offertes, soit 45 % du total. Nous avons donc souhaité, à travers l’exposition La Beauté du geste, qui est un des volets de la célébration des 50 ans du Musée, marquer notre reconnaissance et souligner l’effort de toutes les personnes – donateurs, collectionneurs et artistes – qui ont soutenu le Musée dès ses débuts et continuent de le faire depuis des décennies.
Le titre souligne donc d’abord le geste de donner ?
Oui, nous y sommes assez vite arrivés, après avoir pensé à d’autres titres comme Passion-Raison, qui évoquait la fusion entre la passion des collectionneurs et le caractère rationnel de l’institution muséale. La simplicité du titre La Beauté du geste s’est imposée.
Un titre qui suggère aussi la beauté du geste de la création ?
Oui, en effet.
Comment avez-vous procédé pour le choix des œuvres ?
L’exposition s’articule autour de deux grandes sections. Pour la première qui s’intitule 50 ans – 50 œuvres, j’ai choisi une œuvre par année, de 1964 à 2014, en les présentant par date d’acquisition. Le choix s’est opéré en gardant à l’esprit les moments importants de la vie du Musée. Je souhaitais que les œuvres rendent compte de l’évolution du Musée au fil des années. Un soin particulier marque la présentation, le voisinage et la confrontation des œuvres. Une exposition n’est pas une publication, elle offre plus de liberté pour la mise en espace.
Comment avez-vous procédé pour la répartition des différentes disciplines ?
Je me suis aperçue que la représentation des différentes disciplines dans notre sélection est assez fidèle à leur proportion dans le corpus des dons. En 1964, il y avait encore peu de vidéos et beaucoup de peintures. En revanche, depuis les années 1990, les films et les vidéos dominent ; on en donne un aperçu sous les signatures de Marcel Dzama et de Pascal Grandmaison. Parmi les œuvres sur papier, dont les années 1960-1970 ont marqué l’essor et l’importance dans le processus de démocratisation de l’art, nous avons sélectionné quelques grands ensembles graphiques. L’exposition comprendra deux grands tableaux d’Anselm Kiefer.
Pensez-vous qu’il soit possible de présenter aujourd’hui l’art contemporain comme un tout cohérent ?
C’est utopique en effet, car l’art va dans toutes les directions, mais je pense que le rôle du Musée est de témoigner de toutes ces propositions artistiques et de procéder de manière cohérente. Nous l’entreprenons avec humilité, car personne ne possède la clé de l’interprétation. Et l’idée de cette exposition est de souligner la grande qualité des œuvres reçues en don depuis 50 ans et de dire : « Voyez ces œuvres, nous avons encore besoin de vous ! ». Il faut garder à l’esprit que le développement d’une collection nationale se fait au départ avec les ressources des citoyens et la générosité de mécènes.
Les dons depuis 50 ans proviennent-ils majoritairement d’artistes ?
Non. À l’origine des 3 500 œuvres reçues en don, il y a 800 donateurs ; une proportion substantielle provient des artistes, mais pas la majorité.
Quelles ont été les étapes importantes dans l’historique des donations ?
Entre 1964 et 1965, collectionneurs, artistes et galeristes ont donné quelques centaines d’œuvres au Musée. En 1973, les Musées nationaux du Canada ont effectué la donation de 55 œuvres de Paul-Émile Borduas, donnant ainsi suite à la requête de la famille de l’artiste ; et aujourd’hui, la collection Borduas du MACM compte 123 œuvres. La donation de La Joute (œuvre de Riopelle installée sur la Place Riopelle) par un collectif de médecins est un don exceptionnel aussi. Du mécène Max Stern, le Musée a reçu, durant les années 1970 et 1980, près de 80 œuvres. J’ai aussi en mémoire un don remarquable fait par le théoricien de l’art René Payant. On peut y lire sa réelle passion pour l’art de son temps et son soutien aux pratiques émergentes. Le Musée a été heureux de recevoir une œuvre d’Atom Egoyan, à la suite de sa résidence en 2002.
Comment maintenir la part de l’art « international » reçu en don dans les collections du Musée ?
Je dois admettre que ce n’est pas facile ; il faut y intéresser les collectionneurs en montrant des pratiques éclairantes à travers des expositions. Certaines œuvres sont très chères.
Combien de temps cela prend-il pour qu’une donation intègre le Musée ?
Avec toutes les démarches d’acceptation par des comités et par l’organisme qui atteste les biens culturels à Ottawa, cela peut prendre une bonne année.
LA BEAUTÉ DU GESTE 50 ans de réciprocité
Commissaire : Josée Bélisle
Musée d’art contemporain de Montréal
Du 19 juin au 7 septembre 2014