Entretien avec Alexia Fabre, commissaire de la 8e édition de la Manif d’Art de Québec.

Pourquoi parler de joie aujourd’hui ? « Parce qu’elle est une arme », répond Alexia Fabre, la commissaire de la 8e Manif d’art de Québec. Dans un monde où un Donald Trump devient le 45e président des États-Unis et où, au moment d’écrire ces lignes, le monde entier commémore le triste anniversaire des attentats de Paris, la joie est plus que nécessaire. Elle est un besoin, un exutoire, une arme, en effet, pour résister au mitraillage de nouvelles déroutantes dont nous sommes bombardés quotidiennement. Dans de telles circonstances, les propositions des artistes de la Manif sonnent comme un appel à revendiquer, affirmer et crier cette joie.

Art de la joie reprend le titre du roman initiatique de Goliarda Sapienza (1924-1996), où l’héroïne fait de cette agréable émotion l’objectif d’une quête existentielle intime. Inspirée par les écrits de deux philosophes, le Français Paul Arden et le Québécois Patrick Turmel, la commissaire souhaite que la joie soit interprétée selon une diversité d’expressions. Plutôt que de mettre le doigt sur un constat, Alexia Fabre privilégie une démarche introspective, intime et personnelle mettant en valeur des propositions artistiques plurielles. « Je ne veux pas que l’on entende la voix de la commissaire. J’agis à titre de chef d’orchestre afin qu’on saisisse la composition, en s’assurant que tous les instruments soient mis en valeur dans leur unicité », affirme-t-elle. Polyphoniques, les œuvres seront tantôt conquérantes et inquiètes, tantôt fantasmées, optimistes et anticipatrices. Ne vous attendez donc pas à visiter une série d’œuvres réjouissantes, gaies ou allègres. Elles refléteront plutôt un combat, éveilleront une conscience, un espoir ou une nostalgie, susciteront un acte de résistance, présenteront un art de vivre, une utopie ou un rêve.

La multiplication délibérée des pistes de réflexion s’ajoute au foisonnement que représentent les 29 lieux de diffusion de cette Manif dorénavant hivernale. Une centaine d’artistes provenant de sept pays investiront les quatre coins de la capitale en envahissant l’espace public, les vitrines de plusieurs commerces, les musées, les centres d’artistes et une foule de lieux inusités. Au cœur de l’action  se trouve le Musée national des beaux-arts du Québec. En effet, l’événement frappe un grand coup en étant reçu au musée, profitant ainsi du bruit médiatique et de l’affluence consécutive à l’inauguration du pavillon Lassonde. C’est la première fois depuis sa fondation en 2000 que la biennale se glisse dans des galeries conçues pour accueillir des expositions d’envergure internationale. Quelle bouffée d’air frais pour cet événement dont le noyau était, depuis les deux dernières éditions, confiné au cube noir et ingrat de l’Espace 400e du Vieux-Port de Québec !

Attractions à ne pas manquer

Invités à présenter quelques attractions phares, Alexia Fabre, la commissaire, et Claude Bélanger, le directeur artistique, énumèrent le travail en duo de l’artiste de Québec, Jacynthe Carrier, et de l’Orchestre d’hommes-orchestres (ODHO), l’installation humoristique et politique du collectif français NØne Futbol Club ainsi que le nouveau corpus photographique entièrement réalisé à Québec du Coréen Yeondoo Jung.

Parade

L’œuvre chorale, formée de l’association heureuse de Jacynthe Carrier et du collectif indiscipliné en art vivant l’OHDO, interroge les rites en posant un regard désillusionné sur une jeunesse qui a besoin de croire en elle-même et en quelque chose. Dans une vidéo présentée au MNBAQ, une fanfare disparate, poétique et désinvolte fait état des préoccupations de Carrier qui réapprivoise des paysages et des lieux de « l’encore possible », tandis que l’ODHO cultive le chaos, le risque et l’accident dans des propo­sitions multidisciplinaires proches du bricolage.

Work no 101 : on air

Tirant profit des particularités de l’éco­système artistique de la ville, la Manif fait valoir les espaces de production de Québec en commandant des pièces qui ont été réalisées sur place, grâce aux équipements spécialisés des centres d’artistes. C’est ce dont a profité le NØne Futbol Club avec son ambitieuse installation caustique réalisée dans les ateliers de l’Œil de Poisson lors d’une résidence de cinq semaines au printemps 2016. Hackers de la culture populaire, ces artistes ont créé un boulier de Newton en substituant malicieusement les classiques sphères par des télévisions. Le visiteur est alors invité à activer le mécanisme, provoquant une cacophonie visuelle et sonore. Tout en s’entrechoquant, les appareils diffusent un contenu politisé qui reprend les codes de la culture populaire.

Photos, publicités

Photographe de réputation internationale, Yeondoo Jung a été reçu en résidence chez VU Photo en août 2016. Associé à l’historien Réjean Lemoine, Jung a ciblé la légende de la Chasse- Galerie comme creuset des trois séances photo réalisées avec des habitants de la ville. Les mises en scène inspirées du folklore québécois qu’il en a tirées sont exposées dans des abribus ainsi que sur les panneaux publicitaires à l’intérieur des Métrobus du parcours 800 à Québec.

Ces quelques exemples ne donnent qu’un modeste aperçu de ce qui devrait peut-être prendre les proportions d’une explosion. De joie, bien entendu.

Manif d’art 8 : L’art de la joie
Pavillon Pierre Lassonde du Musée national des beaux-arts de Québec, L’OEil de Poisson, abribus et autobus 800
Du 17 février au 14 mai 2017