La création de la résidence d’artiste La Montagnarde, de ATSA : une réaction à un enjeu social qui s’est révélé pendant la pandémie de COVID-19, l’accès à la nature.

L’automne dernier a eu lieu l’inauguration de La Montagnarde, une résidence d’artiste nichée dans la forêt laurentienne à Saint-Adolphe d’Howard, au nord de Montréal. L’instigatrice du projet est Annie Roy, cofondatrice, directrice générale et artistique de ATSA (Quand l’Art passe à l’Action). Ce nouveau volet s’ajoute aux activités de l’organisme en offrant un lieu de création, de recherche et de ressourcement aux artistes, complété par un volet social. L’initiative souligne l’importance de l’inclusion de l’art dans la communauté. J’ai eu l’occasion de parler avec Annie Roy et de suivre le déroulement de la première résidence d’artiste.

En 1997, Annie Roy et feu Pierre Allard fondent ATSA. On connaît surtout l’organisme pour ses événements dans l’espace urbain, dont La banque à bas (1997), manœuvre devant le Musée d’art contemporain à Montréal et les États d’Urgence (1998-2010) sur les enjeux de l’itinérance, ainsi que Cuisine ta ville (2017-2023) sur ceux de l’immigration1. Mais on peut aussi sentir les préoccupations environnementales avec les œuvres Attention : Zone Épineuse (2002), intervention sur la précarité des patrimoines écologiques et Tumentia Quisquiliae Magdalene (2013), qui s’intéresse à la gestion des déchets en milieu insulaire. À l’instar des projets d’ATSA, Annie Roy se pose constamment la question « comment amener l’art contemporain à jouer un rôle d’acteur dans nos vies ? ». Avec la résidence La Montagnarde, on retrouve la même volonté d’aborder l’environnement et le quotidien des gens sous l’angle de l’expérience esthétique et de l’échange engagé.

Chloé Coomans devant le four-papier cuisant les objets confectionnés pendant l’atelier de céramique. Four fabriqué sur place : morceaux de bois, de papier et de barbotine. Photo : Élaine Frigon

Au décès de Pierre, son compagnon dans la vie et dans l’art, Annie achète un petit chalet adjacent aux terres publiques. Elle raconte : « Nos projets sont imbriqués dans le quotidien de notre vie depuis notre genèse atsaïenne et donc très près de comment notre vie personnelle répond à nos questionnements collectifs. Ici, le propriétaire du chalet d’à côté voulait vendre et j’y ai vu une opportunité en or pour partager mon besoin de forêt avec la communauté artistique, mais aussi avec des nouveaux arrivants et des personnes qui ont besoin de se reconnecter à leur vie. » Avec ATSA, l’action sociale est toujours imbriquée dans l’aspect artistique.

La résidence se veut un endroit où la forêt devient source de réflexion et d’inspiration pour les artistes invitées et invités, sans obligation de produire des œuvres, bien que cela soit possible. C’est au fil des rencontres, par invitation ou sur recommandation, que les artistes de toutes disciplines peuvent profiter de ce lieu de réflexion et de production. Annie agit en tant que commissaire : « Outre les critères de qualité du travail artistique, je regarde si la résidence peut faire une différence dans le parcours de l’artiste. » Pour elle, l’échange avec l’artiste est déterminant. Au cours de la résidence, une rétroaction de la part du public est prévue, que ce soit par des conférences, des portes ouvertes, des ateliers ou par la participation active du public aux œuvres, car qui dit ATSA dit interpeller la population.

Elparo. Sans titre. Croûtes de bois, 6 mètres de diamètre. Photo : Élaine Frigon

LA PREMIÈRE RÉSIDENCE

Le choix des premiers artistes, Elparo et Chloé Coomans2, s’est fait naturellement. Le contact initial s’est fait à leur initiative, et Annie y a vu la chance d’inaugurer la résidence avec le couple : « J’ai demandé à Elparo de créer une sculpture emblématique devant le bâtiment, visible de la route tandis que j’ai proposé à Chloé de réaliser la première œuvre dans la forêt sur la structure d’une ancienne cabane de chasseur. » C’est sans compromis par rapport à leur démarche de création que les deux artistes se sont investis dans l’aventure, avec des matériaux naturels trouvés sur place ou dans la région.

Au centre de la démarche artistique d’ATSA, il y a toujours la question « qu’est-ce qu’on peut faire ici, avec d’autres ? ». Une formule qui semble simple, mais qui comporte sa part de défis. En très peu de temps, Annie a su créer une synergie régionale autour de la résidence. Elle a sollicité des associations d’artistes, l’Atelier culturel de Saint-Adolphe, des céramistes, la quincaillerie du village, et des résidents qui avaient des outils ou du temps pour donner un coup de main aux artistes. Pour elle, « ce sont autant de gens qui sont entrés en contact avec l’art et qui ont appris l’existence de la résidence ».

Les résultats sont tout à la fois grandioses et discrets. La sculpture d’Elparo, tel un anneau en écailles de bois, émerge de la terre et apparaît directement au bout de la route qui mène à la résidence. L’intervention de Coomans se découvre au fil d’une déambulation dans la forêt publique. Chrysalide nous apparaît comme un cocon de branchages sur lequel des nuages s’accrochent. Tout autour, de petits objets de céramique intégrés aux arbres font face au cocon/cabane, alimentant l’imaginaire des spectateurs. Un des moments forts de la résidence a été sans contredit l’atelier de façonnage de petits objets de céramique et la construction d’un four-papier par Coomans. En faisant appel aux ressources de la région pour rejoindre la population, l’atelier de céramique s’est simplement déroulé autour de la table de cuisine, et leur cuisson est devenue un rassemblement populaire local, ce qui n’est pas sans rappeler les stratégies d’ATSA porteuses d’échanges entre artistes et public.

Au fil du temps, Annie voit la forêt publique située derrière la résidence d’artiste se peupler d’œuvres, de secrets à découvrir. En créant La Montagnarde3, elle désire « sacraliser la forêt pour qu’elle redevienne un sanctuaire ». Les œuvres forceront-elles la préservation de ce territoire lors d’une coupe forestière ? Remplacer l’exploitation économique par une exploitation poétique de la forêt, voilà un défi à la hauteur d’ATSA. 

Chloé Coomans, Chrysalide (2022) Branches, bois et céramique, 6 x 3 x 4 m. Photo : Annie Roy. Courtoisie de ATSA

1 Prochain événement dans lequel s’impliquer : Cuisine ta ville du 5 au 14 mai 2023. Pour suivre les activités et les appels de projets d’ATSA, consultez leur site internet, leur page Facebook et leur infolettre.

2 La première résidence La Montagnarde a eu lieu du 17 octobre au 4 novembre 2022. Pour connaître davantage le travail des artistes, il est possible de visiter les sites internet de chacun.

3 Vous pouvez voir un documentaire sur La Montagnarde, réalisé par Alexandre Fournier, sur Nous.tv.