En 2020, la COVID-19 frappe, les organismes culturels ferment, les événements-bénéfices sont reportés, puis annulés ou transposés virtuellement. Plus que jamais, l’art a besoin du soutien de ses communautés qui semblent être au rendez-vous. L’usage du numérique a permis le développement d’une philanthropie de proximité et la mise en place d’une véritable culture philanthropique. Mais qu’entend-on par « philanthropie de proximité » au juste ?

Philanthropie de proximité et solidarité

La philanthropie de proximité s’appuie sur une communauté de donateurs individuels engagés et motivés par la mission de l’organisme. Elle permet de bâtir des relations pérennes et solidaires autour d’un point commun, l’amour de l’art, en valorisant tous les profils au détriment du gain financer. Que vous donniez 5 $ une fois, ou 50 000 $ annuellement, vous devriez être remercié de la même façon, ou presque. « C’est une philanthropie d’individus, basée sur les relations humaines », précise Wendy Reid, professeure à HEC Montréal et autrice de l’étude Repenser la philanthropie culturelle à Montréal : les relations et la communauté.

Inspiré d’une initiative citoyenne hongroise lancée sur les réseaux sociaux par Péter Szántai, un professionnel des arts de la scène, le mouvement #billetsolidaire voit le jour au Québec le 13 mars 2020. Initialement intitulé #NeVáltsVisszaJegyet, qui se traduit par « Ne pas utiliser les billets », le mouvement encourage les détenteurs de billets de théâtre et de concerts annulés à ne pas se faire rembourser afin de soutenir le milieu culturel qui en a grandement besoin. La plateforme lepointdevente.com annonçait avoir remis près de 8 000 $ aux organisateurs d’événements en date du 30 mars 2020, et 17 000 $ à la mi-mai. Élan de solidarité bouleversant de la part des publics, cette initiative spontanée reste une forme de don très utilisée par les organismes culturels, un an plus tard.

Au-delà du soutien immédiat, Wendy Reid, constate que « ces gestes solidaires, sans recherche de bénéfices tangibles, ont permis à plusieurs organisations de comprendre la force et l’engagement de leur communauté envers la mission artistique de leur organisme ». Certains musées ont ainsi réussi à conserver, en guise de donation, l’argent récolté grâce à la vente de billets pour des événements-bénéfice annulés. Les donateurs qui acceptent ce type de transformation entretiennent une relation avec l’organisme basée sur un attrait émotif. Ils constituent souvent les donateurs les plus fidèles et ce sont précisément ces relations qu’il faut réussir à entretenir.

En partie financé grâce à une campagne en ligne sur la plateforme GoFundMe, le Centre d’art daphne est un autre exemple probant de solidarité. Fondé par les artistes Hannah Claus, Caroline Monnet, Nadia Myre et Skawennati en 2020, daphne est le premier centre d’artistes autogéré autochtone de Montréal. Le succès de cette initiative de financement réside dans l’importance de la mission de l’organisme qui répond à un besoin urgent de création de ressources pour les communautés artistiques autochtones.

Dans un contexte où nous avons, pour la première fois depuis très longtemps, arrêté de bouger, de voyager et d’explorer le monde, la pandémie nous a ouvert les yeux sur l’importance d’un réseau d’entraide à l’échelle communautaire. Des salles de spectacles, aux techniciens, en passant par les metteurs en scène et les comédiens, ou encore les galeristes, les artistes et les travailleurs culturels, nous avons tous un rôle à jouer afin de soutenir l’écosystème culturel. Et ce soutien ne pourra se concrétiser sans un apprentissage, une compréhension et une valorisation de l’art.

Malgré les écrans interposés, le basculement vers une philanthropie virtuelle a été l’occasion de recentrer les initiatives sur l’aspect humain en favorisant la collaboration et en donnant naissance à des élans de solidarité spontanés de la part des publics.

Relations virtuelles entre humains

L’usage du numérique en philanthropie permet une démocratisation du statut de donateur en réunissant des individus aux parcours, aux professions et aux grandeurs de portefeuille multiples. Faire un don unique de 20 ou 100 $ à partir d’une publication Facebook est beaucoup moins intimidant que de participer à un événement-bénéfice en robe de soirée ou encore d’acheter une œuvre lors d’un encan. Dans le cadre de l’étude Repenser la philanthropie culturelle à Montréal, Wendy Reid constate qu’il est toutefois difficile, pour la plupart des organismes, de faire preuve d’originalité dans l’offre en ligne. Qui plus est, les événements-bénéfice demandent beaucoup d’énergie et sont souvent fréquentés par des donateurs ponctuels en quête d’un certain statut social ou par des donateurs réguliers souhaitant élargir leur réseau.

En 2020, le Musée d’art de Joliette a misé sur un modèle hybride de financement en transposant une portion de son bal annuel en collecte de fonds sur la plateforme québécoise La Ruche. Le défi du président du CA, un moment important du bal durant lequel le président doublait les dons recueillis lors de l’encan-bénéfice, a été adapté au virtuel. Pour chaque don reçu en ligne, le président du conseil d’administration et le Fonds Mille et UN pour la jeunesse ont ainsi doublé le montant. Cette initiative virtuelle a permis au musée de récolter 50 000 $ dans la communauté, et d’en remettre 150 000 $ à sa Fondation. Du côté de l’Orchestre symphonique de Montréal, l’offre numérique a réussi à franchir les frontières en allant chercher de nouveaux donateurs partout dans le monde. En offrant un concert gratuit en ligne, l’OSM a réussi à rejoindre 75 000 personnes dans 52 pays différents.

Ces succès virtuels démontrent que la philanthropie a connu un essor au cours des derniers mois, et ce, malgré les fermetures prolongées des organismes. En plus de permettre la démocratisation du statut de donateur et un retour vers la mission, les initiatives virtuelles jouent un rôle important d’un point de vue organisationnel. Bien que souvent réalisées par les travailleurs culturels du milieu des communications, elles ont permis la collaboration de plusieurs départements (Fondation, Éducation, Conservation) pour maintenir les organismes culturels en vie virtuellement. Malgré les écrans interposés, le basculement vers une philanthropie virtuelle a été l’occasion de recentrer les initiatives sur l’aspect humain en favorisant la collaboration et en donnant naissance à des élans de solidarité spontanés de la part des publics. Plus que jamais, la philanthropie a rempli son rôle qui est de rassembler les communautés autour d’une mission commune : soutenir la culture.

Catherine Boivin, Ready to Wear (2018), jeans recyclés. Courtoisie de daphne

Cet article a été réalisé suite à un entretien avec Wendy Reid, MBA, Ph.D., Professeure agrégée, HEC Montréal avec le support de Morgane De Bellefeuille, La Machinerie des Arts.