Au commencement, ils étaient trois. Trois commissaires européens caressant le rêve à peine excentrique de consacrer une exposition à l’art brésilien contemporain : Gunnar B. Kvaran de l’Astrup Fearnley Museet d’Oslo, Thierry Raspail du Musée d’Art Contemporain de Lyon et Hans Ulrich Obrist de la Serpentine Gallery de Londres.

Armés de leur curiosité et de leur indéfectible amour de l’art, ils ont arpenté centres et galeries, ateliers et autres lieux où prend forme chaque jour cette hydre aux innombrables têtes. Ils ont alors sélectionné un premier groupe de quatorze artistes de la scène émergente brésilienne pour participer à ce projet pour le moins particulier. La règle du jeu était simple : chaque artiste sélectionné devait inviter un artiste établi à se joindre à l’expérience afin de proposer un panorama qui ne soit pas le seul apanage de l’intellectuel européen fraîchement confronté à la culture du Nouveau Monde. Ainsi, la notion d’art actuel se redéfinit à travers une filiation, ici et maintenant, ainsi que dans le lien social et le cursus historique. La présentation – surtout le catalogue – a réussi à mettre en place une certaine histoire de l’art écrite par ceux-là mêmes qui la font, en y intégrant le rapport aux autres, à tous ceux qui, avant soi, ont contribué à esquisser la voie, à dessiner les pourtours de ce Brésil imaginaire que l’on porte tous en soi, Brésilien ou non. C’est ce récit mythique – donc refondateur pour ses narrateurs mêmes – que l’exposition Imagine Brazil incarne.

La présentation montréalaise de cette exposition itinérante au long cours occupe tout l’espace des deux immeubles de DHC | ART. Dans le premier (451, Saint-Jean) où se superposent les salles intimes (G1 à G8), photos, films, sculptures et installations se succèdent agréablement. Particulièrement fortes, les œuvres de Paulo Nimer Pjota (Entre la philosophie et la criminalité, 2015), de Thiago Martins de Melo (Théâtre Nago – Cartésienne 2 : Fleur de Mangrove) et Foras (Dehors) de Gustavo Speridiao (présent au moment de la visite de presse), habitent longtemps le promeneur solitaire.

Mais ce sont surtout les propositions rassemblées dans la seconde partie (465, rue Saint-Jean) qui enchantent avec leur exubérance et leur effet de surprise, que ce soit Folds (2000-2001), une étonnante œuvre murale en mousse aux effluves de David Lynch (on se croirait dans Existenz avec un pod mural donnant accès à une autre dimension) d’Adriana Varejao, Économie de la transe (2011) de Deyson Gilbert, avec sa chaise reposant en toute précarité sur un attaché case et un bloc de glace, ou encore Le groupe des Sept (2010) de Sara Ramo, une projection vidéo d’une vingtaine de minutes qui questionne autant le réalisme visuel du cinéma que sa narrativité.

Pour compléter cette présentation qui hume la vie brute et l’hétéroclisme à peine chaotique, on a intégré une exposition dans l’exposition, composée d’une riche sélection de livres d’artistes. Il s’agit d’un petit panorama de cet art si vivant au Brésil, que chaque génération redessine au rythme de sa fantaisie. On y découvre quelques pièces franchement magiques, comme le beau Livro di Marmore (2010) de Felipe Cohen ouvert une fois pour toutes et qui ne s’effeuille pas et Cumulus (2008) de Marilà Dardot, avec ses nuées de volutes de papier s’échappant de sa couverture pour mieux vivre sa passion en toute liberté. L’immense livre bicolore incrusté dans le tombeau de présentation, Tijolas, 2013 de Jaoo Loureiro, s’impose comme un gigantesque mutoscope postmoderne (il ne raconte plus rien, ne montre plus rien). Ce livre est un véritable défi de manipulation en même temps qu’un trompe l’esprit, que nous pouvons même toucher – j’avoue ne pas être parvenue à vaincre mes réticences.

Et comme si cette proposition à elle seule ne valait pas déjà largement le déplacement, les commissaires ont eu la belle idée – pas nouvelle, certes, mais fort à propos – de faire appel à des écrivains, des historiens et des critiques brésiliens contemporains pour rédiger l’essentiel des textes du catalogue, qui se décline en deux cahiers : un premier, mince et factuel (vert), qui traduit en français absolument tout, et un second, plus copieux et richement illustré (jaune). Dans les deux cas, la topologie est identique. Dans une introduction concise, mais précise, les trois complices résument le projet qu’ils ont mené. Puis, une série de 27 textes par autant d’auteurs aborde chacun des 27 artistes (14 + 13, deux ayant choisi la même figure matricielle) de l’exposition en opérant cinq grands regroupements géographiques. Certains sont plus factuels, d’autres d’une poésie à la beauté sans nom. Mais tous éclairent un aspect de l’art brésilien d’un jour particulier et seront une joie pour tous les amateurs. Avec ça, chacun a tout ce qu’il faut pour imaginer son propre Brésil.

IMAGINE BRAZIL, DHC | ART (Montréal). Du 7 novembre 2015 au 13 mars 2016.

Commissaires : Gunnar B. Kvaran, Thierry Raspail et Hans Ulrich Obrist

Artistes : Arrigo Barnabé, J. Borges, Sofia Borges, Rodrigo Cass, Adriano Costa, Jonathas de Andrade, Deyson Gilbert, Fernanda Gomes, Marcellvs L., Milton Machado, Montez Magno, Cinthia Marcelle, Thiago Martins de Melo, Rodrigo Matheus, Cildo Meireles, Pedro Moraleida, Paulo Nazareth, Rivane Neuenschwander, Paulo Nimer Pjota, Sara Ramo, Mayana Redin, Gustavo Speridião, Tunga, Adriana Varejão, Caetano Veloso et Carlos Zilio.

Artistes de l’exposition dans l’exposition (livres d’artistes) : Marlon de Azambuja, Chiara Banfi, Arthur Barrio, Debora Bolsoni, Waltercio Caldas, Felipe Cohen, Marilà Dardot, Ana Luiza Dias Batista, Marcius Galan, João Loureiro, Milton Marques, Lùcia Mindlin, Leya Mira Brande, Fabio Morais, Carlos Nunes, Nicolàs Robbio et Lucas Simões.