Le don d’œuvres : un art en soi
Un vieux proverbe français dit qu’« il n’y a si bel acquêt que le don », ce qui signifie : la plus belle acquisition est celle qui nous est donnée. L’histoire ne dit pas s’il s’agissait à l’origine d’une œuvre d’art, mais la citation pourrait s’appliquer à une démarche de don d’œuvre à un musée ou à un encan. Vous souhaitez qu’un plus large public puisse profiter d’une œuvre historique héritée ou d’une œuvre contemporaine achetée par le passé? Vous pourriez vivre une expérience enrichissante au propre comme au figuré : participer à la mission d’une institution, partager un legs avec la communauté et profiter d’avantages fiscaux.
Il faut savoir que le processus d’acquisition d’un don est aussi rigoureux que celui d’un achat, et peut-être même plus. Avec la diminution des subventions gouvernementales et l’augmentation des dépenses de fonctionnement, les budgets d’acquisitions des institutions fondent comme neige en Arctique. Les propositions d’œuvres devraient, en principe, être doublement bienvenues, tant pour parer aux acquisitions que pour augmenter les sources de revenus. Mais il faut tenir compte des coûts liés à la gestion d’une œuvre : transport, assurances, espace dans les réserves, conservation et documentation, restauration. Faute de personnel et de disponibilité, le temps nécessaire à l’élaboration d’un dossier demeure considérable. Surtout s’il fait l’objet d’une demande d’attestation à la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels (CCEEBC), dans le cas où votre œuvre est d’un « intérêt exceptionnel et d’importance nationale à protéger et à préserver à titre d’exemple significatif du patrimoine artistique1 ». Mais, quelle que soit la valeur de votre don, vous recevrez un reçu de charité pour le montant admissible… pour autant que votre proposition ait franchi toutes les étapes du processus. Chaque institution a sa façon de procéder, mais, dans l’ensemble, vous traverserez quatre grandes étapes2.
PRÉSENTATION DU DOSSIER
C’est l’étape dont vous êtes responsable. Vous devez cibler l’institution à laquelle vous destinez votre don. Avez-vous une préférence pour une collection publique ou privée, un musée encyclopédique ou spécialisé en art contemporain, de votre région ou non? En consultant le site Internet des musées, vous ferez d’une pierre deux coups : vérifier si votre œuvre correspond à son mandat et obtenir les coordonnées de la personne responsable des dons d’œuvres, qui saura vous dire si effectivement l’œuvre pourrait faire l’objet d’une proposition. Justement, ils n’ont pas de production de cette période de l’artiste ! On vous demandera alors de faire suivre une fiche détaillée incluant vos coordonnées, les détails de l’œuvre (nom de l’artiste, titre, date, dimensions, médium, valeur à l’achat) ainsi qu’une bonne photographie. Et tout autre document pertinent (facture, certificat d’authenticité, historique de propriété, expositions, publications, etc.).
COMITÉS D’ACQUISITION
Votre proposition sera par la suite examinée par deux comités d’acquisition : le comité interne et le comité externe. Le comité interne est constitué de professionnels du musée issus des secteurs de la conservation, des archives, de la restauration et de la direction générale. Il a pour mandat d’examiner les biens et de faire ses recommandations au comité externe : importance de l’œuvre dans la production de l’artiste, sa pertinence dans la collection, rapport de condition. Advenant une recommandation positive, l’œuvre sera livrée à l’institution, puis c’est au tour du comité externe de l’examiner et de faire ses recommandations. Celui-ci est formé du directeur général du musée, d’un membre du conseil d’administration, du responsable des collections et de différents membres représentatifs de la communauté (artistes, historiens d’art, collectionneurs, critiques d’art). Le conseil d’administration entérine ultimement les recommandations.
JUSTE VALEUR MARCHANDE
Si le don se concrétise, on vous demandera une évaluation de la juste valeur marchande de l’œuvre, sur le marché actuel. Jusqu’à 50 000 $, une seule évaluation suffit. Autrement, il faudra deux évaluations. Cette estimation est faite par une ou un professionnel du marché de l’art, surtout des galeristes et des historiens de l’art. Le plus simple est d’avoir recours à la galerie qui représente l’artiste. Le Musée fera la démarche pour vous, mais, dans une philosophie de philanthropie, vous devrez acquitter la facture de l’évaluation en échange d’un reçu fiscal pour le montant déboursé. Le coût? Il varie… selon qu’il s’agit d’une seule œuvre, d’un corpus d’œuvres du même artiste ou de plusieurs artistes, et si le dossier requiert peu ou beaucoup de recherches.
REÇUS FISCAUX
Les comités d’acquisitions se réunissent de deux à quatre fois par année, en fonction de l’agenda de la CCEEBC afin d’examiner les dossiers admissibles. Il faut compter de trois à six mois entre le moment où vous présentez le dossier et celui où vous obtenez la réponse finale3. Dans l’affirmative, on vous appellera pour vous communiquer la bonne nouvelle. Il ne vous restera qu’à préciser si vous souhaitez que votre don soit connu, anonyme, ou en hommage à quelqu’un. Par la suite, vous recevrez les reçus fiscaux pour l’œuvre et pour son évaluation.
Félicitations ! Vous contribuez à l’histoire des musées, et à l’histoire de l’art. Incitez à votre tour d’autres collectionneurs à donner et empruntez les mots de Borduas : « Que ceux tentés par l’aventure se joignent à nous ! »
PETITE ÉTUDE DE CAS : MON EXPÉRIENCE DE DON AU MUSÉE D’ART DE JOLIETTE
En 2019, souhaitant offrir en don une œuvre de Jérôme Fortin, je cible le MAJ pour plusieurs raisons. L’art contemporain québécois fait partie de son mandat, l’artiste est originaire de Joliette, et il y a tenu sa première exposition individuelle. Sur le plan personnel, mon premier emploi muséal fut là. Je sonde le terrain en envoyant un courriel. Dans la journée même, le
directeur accuse réception de la proposition et m’avise que je serai contactée dans les prochains jours. La conservatrice des collections Émilie Grandmont-Bérubé étant à l’extérieur, Nathalie Galego, adjointe aux collections, communique avec moi pour m’expliquer les prochaines étapes. Comme la proposition est recevable, on me demande de remplir la fiche de renseignements relatifs à l’œuvre, sa valeur à l’achat et une photographie.
Au lendemain de la réunion du comité interne d’acquisition, on m’avise que ma proposition de don a été recommandée pour le comité externe. Je dois livrer l’œuvre quelques jours avant sa réunion. La semaine suivant sa tenue, on me communique la bonne nouvelle : la proposition a été acceptée et l’œuvre entrera dans la collection. J’en fais donc évaluer la valeur marchande, ce qui clôt mes démarches. On m’envoie par la poste tous les documents relatifs à mon don : une lettre de remerciement signée par le directeur général Jean-François Bélisle et par le président du Musée, ainsi que les deux reçus fiscaux. Du travail professionnel de haut niveau, livré dans les règles de l’art : rapidité et qualité des suivis, feed-back à toutes les étapes du processus et gentillesse de tout le personnel. Plusieurs personnes m’ont dit avoir vécu des expériences de grand professionnalisme avec nos institutions, mais ce qui m’a frappée ici était la somme des pratiques exemplaires dans tout le processus.
(1) Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels. Ce pourrait être un montant inférieur, mais en général on parle ici de dons au-delà de 10 000 $. Des œuvres majeures, d’artistes reconnus, évaluées par un comité d’experts.
(2) Je remercie Sylvie Cataford de la Galerie Simon Blais, Céline Lamarre et Jean Cliche, collectionneurs, Bernard Landriault et Michel Paradis de la Fondation Grantham, et Suzanne Lemire, ex-responsable des dons au MAC pour leurs réflexions partagées.
(3) Avec la perspective des rapports d’impôts à venir, l’automne est la période la plus achalandée pour les dons. Si vous voulez être sûr d’obtenir vos reçus dans l’année fiscale en cours, vous pourriez soumettre le dossier dans les deux premiers trimestres.