Dépositaire d’une collection d’art contemporain remarquable, dont il fait malheureusement trop peu état, le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) a grandi presque au-delà de ses espérances au cours des vingt dernières années. À l’étroit dans un bâtiment mal aimé, il cherche aujourd’hui à s’oxygéner.

Situé au cœur du Quartier des spectacles, en pleine évolution, et désireux de s’affirmer davantage dans ce contexte où règne une créativité foisonnante, le MAC explore les possibilités, et la faisabilité, d’une transformation majeure. Selon les conclusions d’une étude récente, on pourrait corriger le tir… Encore faudrait-il ne pas répéter les erreurs du passé, lesquelles hantent toujours l’institution.

Pour bien comprendre l’importance de ce bâtiment qui fait partie de l’un des ensembles urbains les plus vitaux de la métropole, il faut remonter le fil du temps et retourner à l’époque où un maire mélomane, Jean Drapeau, lançait l’idée d’un quadrilatère voué aux arts de la scène, tel qu’à la même époque le proposait, pour New York, un certain John D. Rockefeller III.

Le plan d’implantation montréalais préparé en 1958 par les architectes Lebensold, Desbarats, Affleck et Sise (ARCOP) reprend, à plusieurs égards, le plan d’ensemble de l’architecte new-yorkais Wallace Harrison pour le Lincoln Center. Dans les deux cas, le site est un quadrilatère de forme plus ou moins carrée ; y étaient prévus au départ trois bâtiments disposés de manière identique. Un premier édifice devait être placé en retrait, vers l’arrière du site, puis flanqué de deux autres bâtiments, encadrant de manière symétrique une place centrale.

Plan d’implantation de la future Place des Arts, 1958 (époque précédant la construction de la Salle Wilfrid-Pelletier), Lebensold, Desbarats, Affleck et Sise (ARCOP) architectes

Premiers écueils

La Salle Wilfrid-Pelletier, inaugurée en 1963, constituait l’élément central du quadrilatère montréalais alors que c’est le Metropolitan Opera House qui assumait ce rôle à New York. Les bâtiments adjacents au Met devaient être inaugurés en 1962 et 1964, alors le Théâtre Maisonneuve, deuxième élément de la composition montréalaise, ouvrait ses portes en 1967 à l’occasion de l’Expo. Contrairement à New York, cependant, le reste du quadrilatère montréalais devait demeurer en friche jusqu’à la construction du Musée d’art contemporain en 1992. Quant à l’espace central, il subit diverses transformations, certaines plus heureuses que d’autres, avant de devenir ce qu’il est aujourd’hui.

Au moment de prendre la décision de relocaliser le Musée d’art contemporain à la Place des Arts au début des années 1980, on décida d’avoir recours à un processus rarement utilisé à l’époque, à savoir le concours d’architecture. Le concours de 1983, anonyme et en une seule étape, souleva l’enthousiasme de 101 équipes d’architectes provenant d’un peu partout au Québec. Le dévoilement des résultats, pourtant, se fit dans une atmosphère morose, la majorité des projets, dont le projet lauréat, étant jugés peu inspirants.

La faute cependant n’en était pas uniquement attribuable aux professionnels, victimes d’un concours mal formulé, mal organisé et mal dirigé. En effet, le concours comportait deux problèmes majeurs, le premier d’ordre organisationnel, et le second d’ordre programmatique. L’opération avait été lancée à une époque où le Code des concours comportait de nombreuses lacunes et permettait entre autres au conseiller professionnel d’être également président du jury, donc juge et partie. L’architecte Raymond Affleck qui avait conçu la Salle Wilfrid-Pelletier, avec ses collaborateurs d’ARCOP, s’était vu confier ce rôle.

Naissance difficile

D’autre part, à peine le processus démarré, les participants se voyaient imposer une directive qui allait entraîner de graves conséquences par la suite. Alors qu’au départ on avait donné aux concurrents la liberté de s’implanter là où ils le jugeraient le plus intéressant sur les espaces libres du quadrilatère, subitement on leur imposa l’obligation de se positionner le long de la rue Jeanne-Mance, en retrait de la rue Sainte-Catherine, afin de privilégier la vue de la Salle Wilfrid-Pelletier, de l’angle de ces deux rues. Le concours venait d’être voué à l’échec.

Toutes les propositions soumises allaient refléter le même malaise, le site proposé ne permettant tout simplement pas d’accommoder les besoins du MAC. Les projets, plus ou moins triangulaires, étaient tous coincés le long de la Salle Wilfrid-Pelletier au nord, et presque tous se terminaient par un angle aigu au sud. Quelques architectes, dont Dan Hanganu et Jacques Rousseau, choisirent d’ignorer la directive et de se rapprocher de la rue Sainte-Catherine : leurs projets furent automatiquement disqualifiés.

De qui était venue la directive ? La réponse n’est toujours pas claire ; la seule explication que l’on puisse invoquer est peut-être le désir de plaire au conseiller professionnel et président du jury, l’un des architectes de la Salle Wilfrid-Pelletier. Étonnamment, trente ans après la tenue du concours, le spectre de cette limite fictive persiste encore chez certains.

Naissance difficile, donc, pour le MAC, dont le programme changeait, dès 1984, et dont les travaux faisaient l’objet d’un moratoire en 1986 (voir encadré pour les principales étapes). Peut-on s’étonner, vingt ans plus tard, que le Musée veuille faire peau neuve ? Fin 2009, on confie à Provencher Roy + associés architectes le mandat d’étudier « le potentiel d’agrandissement et de transformation du Musée ». Le rapport de PRAA est remis en avril 2010 et rendu public en janvier 2012.

Des parois de verre

Il constate, entre autres déficiences, le manque flagrant de salles d’exposition, la faiblesse de l’entrée principale et la triste configuration de la façade Ouest donnant désormais sur l’un des hauts lieux du Montréal festif. Loin de suggérer la démolition du Musée, le rapport estime que plus de 85 % du bâtiment actuel pourrait être conservé dans le cadre d’un nouvel aménagement où la superficie des salles d’exposition serait multipliée par deux.

La principale pomme de discorde, à savoir l’enveloppe extérieure du bâtiment, pourrait en grande partie être remplacée par des parois de verre favorisant la perméabilité des principales façades du Musée. L’emphase est également mise sur une véritable présence du Musée par rapport à la rue Sainte-Catherine, et ce, dans l’esprit du plan d’ensemble de 1958 à l’origine de la Place des Arts. Enfin, le déplacement du débarcadère vers le boulevard de Maisonneuve (emplacement d’ailleurs prévu par les architectes du MAC en 1983) permettrait de doter la façade Ouest d’une dignité dont elle a été privée jusqu’à présent.

L’analyse de PRAA est fondée et les pistes de solution proposées semblent réalistes. Plans et coupes l’illustrent abondamment de même que plusieurs perspectives. Et c’est là que le bât blesse. En effet, les images de synthèse sont une arme à double tranchant : elles servent à représenter une idée, mais comme elles se rapprochent d’une réalité possible, on tend à les prendre pour cette réalité, donc pour le projet fini.

L’ouverture de la structure linéaire du musée sur l’esplanade et la Place des Arts. Image de synthèse, PRAA, 2010

Ces images semblent avoir convaincu les conseils d’administration du MAC et de la Place des Arts, alors que leur publication dans les médias a suscité des réactions mitigées, le public y voyant le projet définitif. On peut enfin se demander si ces images seront suffisantes pour soulever l’enthousiasme de mécènes tels Pierre Lassonde ou encore Claire et Marc Bourgie qui ont choisi, comme véhicule respectif, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) à Québec et le Musée national des beaux-arts de Montréal (MBAM) à Montréal.

D’aucuns ont suggéré de réduire les budgets pour arriver à faire ce projet. Faut-il le rappeler, le fait de lésiner sur les moyens, comme on le fait trop souvent à Montréal, nous entraîne dans un cycle de perpétuel recommencement avec coûts à long terme bien plus élevés que les estimés de départ. L’ex-ministre des Finances du Québec, Monique Jérôme-Forget, avouait d’ailleurs candidement avoir sacrifié l’extérieur de la nouvelle salle de l’Orchestre Symphonique de Montréal pour des raisons budgétaires. Autre rendez-vous à prévoir dans vingt ans !

De quatre modes, le meilleur

En admettant qu’on puisse aller de l’avant, comment procéder ? Comment choisir cette fois les architectes ? Il existe au Québec, quatre principaux modes de sélection des professionnels : la commande directe, le partenariat public-privé (PPP), relativement nouveau dans le paysage, l’appel d’offres public (avec ou sans enveloppe d’honoraires) et le concours d’architecture (ouvert ou sur invitation).

À titre d’illustration, l’agrandissement récent du Musée des beaux-arts de Montréal a été une commande directe tout comme l’Édifice 2-22 de la rue Sainte-Catherine, dans le périmètre du Quartier des spectacles. Le succès, ou l’échec, de la commande directe dépend avant tout du client : un client éclairé, capable de choisir des architectes de qualité, et de les soutenir par la suite, obtiendra un bâtiment à la hauteur de ses aspirations. Avec un ou des clients peu éclairés, le pire est toujours à craindre.

Les PPP, davantage axés sur la rentabilité que sur la créativité, comportent un risque inhérent, celui de passer outre ce qui fait l’essence même de l’architecture. Le cas de La Maison symphonique reflète tristement le péril qui guette les bâtiments exécutés en PPP. Tout en appréciant les mérites de la nouvelle salle de concert, on ne peut que regretter que ses façades extérieures soient si peu intéressantes.

Pour l’édifice des Grands Ballets Canadiens de Montréal, projeté sur le site immédiatement à l’ouest de la Place des Arts, on a eu recours à un appel d’offres public sans enveloppe d’honoraires. Il existe aussi, pour des raisons qui seraient trop longues à expliquer ici, l’appel d’offres avec enveloppe d’honoraires. Cette méthode, qui correspond à choisir le plus bas soumissionnaire, a malheureusement fait d’immenses ravages depuis son adoption par les villes et municipalités du Québec.

Enfin, dernier mode de sélection, très répandu pour ce qui est des théâtres, des salles de spectacle et des bibliothèques dans tout le Québec, le concours. C’est ce mode qui a été privilégié pour sélectionner les architectes de l’agrandissement du Musée national des beaux-arts du Québec. Le concours d’architecture, qui prend diverses formes, ne mène pas toujours à l’excellence comme le démontre le MAC actuel, mais il demeure une excellente méthode comme le prouvent les nombreux petits bâtiments culturels qui parsèment désormais le territoire québécois. Le MAC pourrait-il à nouveau faire l’objet d’un concours, mieux défini et mieux encadré cette fois ? Peut-être, et ce, malgré le goût amer laissé par l’expérience de 1983.

En conclusion, l’Étude du potentiel d’agrandissement et de transformation nous permet de comprendre que le MAC pourrait être revitalisé, et ce, pour la somme de 88 millions, somme non exagérée lorsqu’on la compare aux coûts de relocalisation d’une telle institution. La même étude nous montre également qu’il est relativement facile d’évoquer une série de mesures correctrices, mais beaucoup plus difficile de créer un projet qui redonne au MAC le souffle dont il a besoin.

Or ce souffle, cette étincelle, seule l’architecture peut la susciter. La revitalisation du Musée devrait donc être l’occasion pour les architectes de déployer leur créativité et leur talent. En effet, jamais il n’y a eu dans l’histoire de Montréal autant de bons architectes sur la scène, mais la plupart sont sous-utilisés, mal utilisés ou, pire encore, non utilisés. Pourrait-on enfin leur permettre de donner leur pleine mesure tout comme, sans cesse, on encourage les artistes d’autres disciplines à le faire ?


Quelques extraits de La petite histoire du nouvel édifice (document émis le 25 juillet 1991 par la Direction des communications du Musée d’art contemporain) :

  • Avril 1984 La firme Jodoin Lamarre Pratte et Associés est proclamée gagnante du concours archi­tectural.
  • Septembre 1984 Le Conseil d’administration du Musée demande qu’on révise les premiers plans d’aménagement intérieur du nouvel édifice.
  • Janvier 1985 Le Musée estime les espaces prévus insuffisants.
  • Août 1985 Début des premiers travaux (excavation).
  • Janvier 1986 Le Musée recommande au gouvernement du Québec le réexamen de l’ensemble du projet architectural.
  • Février 1986 La ministre des Affaires culturelles du Québec décrète un moratoire sur la construction du Musée.
  • Décembre 1986 La ministre des Affaires culturelles du Québec lève le moratoire. Des modifications majeures au concept initial sont proposées.
  • Septembre 1988 Approbation du projet final par le gouver­nement du Québec.
  • Janvier 1990 Les travaux de construction reprennent sur le site de la Place des Arts.